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Armée burkinabè en 2031: le rêve de Jérémie Yisso Bationo

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Photo d'Illustration

Ceci est une tribune de Jérémie Yisso Bationo, enseignant chercheur à Ouagadougou, où il évoque son rêve de voir l’armée burkinabè avec un visage reluisant dans un proche avenir, d’ici à 2031. Pour que ce rêve se réalise, il décline des pistes à prospecter, notamment une bonne analyse du contexte géopolitique et géostratégique, des missions en phase avec les enjeux du moment appuyées d’une doctrine de défense adaptée et participative. Il parle également d’une armée parfaitement organisée avec des soldats bien équipés.

Armée burkinabè  en 2031 : Je fais un rêve…

Les terroristes ont fait de nombreuses victimes au Burkina Faso depuis 2015. Pour inverser la courbe mortifère, les actions stratégiques doivent se poursuivre dans une parfaite coordination entre politiques et militaires. Quel sera le visage de l’armée burkinabè dans 10 ans ? Faisons le rêve ensemble.

Nous sommes en 2031. Les nombreux efforts entrepris depuis de longues années portent leurs fruits. L’armée est républicaine, non partisane,  au service de la nation et assume pleinement ses missions de défense dans le respect de la loi et de la constitution. Fière de la valeur et des capacités de ses soldats, elle est capable d’engager des combats d’une manière efficiente et efficace. La réforme des Forces Armées a été une tâche ardue. Mais elle a commencé par une étude minutieuse du contexte géostratégique.

Bonne analyse du contexte géopolitique et géostratégique

En 2031, le contexte géopolitique et géostratégique est minutieusement étudié. Le Burkina Faso dispose clairement d’une bonne cartographie des menaces qui planent sur le pays (agressions par un autre État, attaques terroristes, cybers attaques, criminalité organisée dans ses formes les plus graves, notamment le trafic des armes et des munitions, risque que des groupes extrémistes s’autoproclament à la tête du pays ou d’une région,…) Les États-majors, maitrisant parfaitement les techniques d’état-major opérationnels, ont par la suite planifié jusqu’au moindre détail tous les scénarios possibles qui configureront la ou les formes que prendra chacune des menaces. C’est un véritable motif de fierté. Les officiers d’état-major sont bien formés dans les écoles burkinabè et à l’étranger. Ils imposent le respect dans la sous-région et au plan international.

Missions en phase avec les enjeux du moment

En 2031, prenant en compte les menaces identifiées, les missions sont définies autour de la défense du territoire contre toute agression armée extérieure ou intérieure, la défense des institutions de l’État, et des installations stratégiques du pays contre tout acte de sabotage, la lutte contre le terrorisme dans toutes ses formes, la lutte contre la contrebande, notamment la prolifération des armes de petit et moyen calibre, et  le trafic de la drogue, la lutte contre la cyber- menace notamment   contre toute attaque électronique contre le pays et ses institutions névralgiques. La priorité absolue consiste à empêcher toute agression contre le territoire national. L’action majeure réside dans la concentration des efforts sur la lutte contre le terrorisme, parce que le terrorisme est vu comme la menace évidente que les FDS doivent affronter en parfaite coordination avec les pays limitrophes.

Une doctrine de défense adaptée et participative

En 2031, de l’étude du contexte géopolitique et géostratégique, des menaces et des missions formulées, le Burkina Faso développe une doctrine de défense. Militaires et civiles ont travaillé sur cette doctrine et sur la réforme de l’armée durant les 10 années précédentes ! Ils comprennent que  la politique de défense d’un État est l’ensemble des grandes options et principes politiques, stratégiques et militaires qu’il définit et adopte en vue d’assurer sa défense, et qu’elle  est le complément indissociable de la politique étrangère de l’Etat.

En l’élaborant, ils ont analysé  le contexte  géopolitique et géostratégique du pays, pris en considération ses moyens sur les plans financier, économique et démographique, sans oublier  d’étudier les possibilités qu’offrent les secteurs scientifiques et techniques; tout ceci afin de pouvoir estimer l'évolution des menaces, des forces et faiblesses du pays et des opportunités offertes. Ils ont conçu une stratégie basée sur la notion de défense globale dont l’ultime manifestation est le concept de défense populaire généralisée(DPG). La défense globale est la manière de coordonner l’action des forces militaires, politiques, économiques et morales qui sont impliquées dans la conduite d’une crise conjoncturelle, d’une guerre. En fait, ils ont élaboré la doctrine de défense du pays en mettant l’accent sur trois priorités stratégiques, à savoir la protection, la dissuasion et l’intervention proprement dite.

La protection consiste  à protéger les citoyens contre les risques qui menacent les frontières et les sites stratégiques du pays, mais aussi contre les menaces dues au terrorisme, au crime organisé transfrontalier et à la cyber menace. Elle consiste aussi à renforcer la sécurité au niveau des collectivités locales, des entreprises à caractère stratégique et des institutions de l’État. De grandes campagnes de sensibilisation sont menées et tout le monde comprend comment faire pour réduire les vulnérabilités. La dissuasion se manifeste par le renforcement de l’Agence Nationale de Renseignement, le renforcement des capacités techniques et opérationnelles de l’armée, la réconciliation nationale et le renforcement de la cohésion sociale. Grâce à leur sens patriotique, les partis politiques et la société civile participent énormément à la dissuasion, en affirmant un attachement sans équivoque au drapeau et aux valeurs républicaines. Tous comprennent que la défense et la sécurité du pays n’incombent pas seulement aux forces armées. L’intervention, ou la défense proprement dite, consiste dans les modalités de mise en œuvre des moyens de l’État pour contrer les différentes menaces .Ces modalités sont bien vues et bien définies. Tout le monde comprend que la défense est toujours globale au cas où l’intégrité du pays est menacée.

Une armée parfaitement organisée

En 2031, sachant que l’intervention de l’armée dépend de son organisation et des plans préétablis qui définissent sa stratégie de défense, et prenant en compte les menaces, ses missions et les moyens et ressources de l’État, l’Armée opte pour une stratégie de défense basée sur quatre pivots. Le premier pivot, le corps des Forces Spéciales, qui est en grande partie l’arme idéale pour combattre le terrorisme et mener le combat asymétrique. Pour ce faire, l’Armée s’est attelée  à renforcer, rééquiper, améliorer les capacités et redéployer ce corps. Des unités sont créées et déployées d’une manière bien réfléchie dans des régions spécifiques du pays. Des moyens aériens et aéromobiles, surtout les hélicoptères de combat et de transport armés, sont vus comme nécessaires pour assurer leur projection rapide (moins d’une heure) dans les zones d’intervention ou les théâtres d’opérations.

Le deuxième pivot, la défense territoriale, qui s’appuie sur un corps de gardes-frontières, des unités territoriales, des unités spéciales de montagne, des unités de forêt, des unités sahariennes, mais aussi des unités d’infanterie légère entrainées sur  les techniques du combat asymétrique. Toutes ces unités sont regroupées sous des commandements régionaux militaires répartis selon un découpage géographique étudié. Dans les situations graves, et au cas où le pays est envahi et occupé partiellement ou totalement, le combat asymétrique est lancé sous forme de Défense Populaire Généralisée. Le ministre de la défense nationale a prévu et préparé, dès le temps de paix, la mobilisation et l’emploi de toutes les ressources du pays. Des plans, toujours mis à jour, sont conservés pour le jour « J ». Il ne peut être question d’improviser quand la sécurité du pays est menacée. On peut combattre et vaincre une Armée, mais jamais un peuple.

Le troisième pivot, les forces conventionnelles qui constituent la force de frappe et de décision. Indépendantes des commandements régionaux, ces forces, chacune commandée aussi par un Général, sont orientées soit contre des forces du type armée régulière, ou irrégulière partout sur le territoire national ; soit pour renforcer et soutenir les forces de défense territoriale ponctuellement dans leurs zones de responsabilité.

Ces forces sont regroupées et judicieusement déployées dans des casernements positionnés centralement dans le pays pour réduire les délais d’intervention, mais aussi pour faciliter le  soutien logistique… Mais chose importante, leur matériel est adapté au terrain ! Le commandement politique décuple l’effectif des forces de la Protection Civile et leurs moyens d’intervention, et les dote d’hélicoptères, pour alléger l’armée progressivement de ses interventions dans le cadre de la lutte contre les catastrophes naturelles ; sauf, bien sûr, en cas de calamités majeures, l’Armée constituant toujours le dernier recours de la nation.

Le quatrième pivot, la Réserve qui constitue le réservoir humain dont le recours se fait soit pour renforcer ponctuellement les unités conventionnelles et de défense du territoire en temps de crise; soit pour constituer des unités territoriales en nombre bien défini pour la défense de points sensibles ou stratégiques afin de permettre aux régions militaires et aux forces conventionnelles une plus grande liberté d’action et la concentration de leurs moyens et efforts dans les opérations. Le recours à la réserve s’inscrit, aussi, dans le cadre de la mobilisation générale, laquelle fait l’appel ultime au maximum du potentiel humain du pays dans le cadre de la Défense Populaire Généralisée. Cette stratégie de défense est complétée par une doctrine d’emploi des armées, et une doctrine d’emploi des unités. Les doctrines d’emploi définissent la manière de mener le combat soit à une échelle interarmées, soit à des échelles plus spécialisées. L’élaboration de ces doctrines d’emploi a été un travail ardu pour les armées. Il s’agissait d’adapter ce qui existait auparavant aux nouvelles exigences techniques qu’a imposé la transformation de l’Armée. Toutes les doctrines d’emploi insistent sur des facteurs qu’ils considèrent comme déterminants pour le succès de toute opération : l’esprit d’initiative, la souplesse d’emploi des unités, leur projection rapide (mobilité), mais aussi  l’agressivité combative.

Des soldats bien équipés

En 2031, les équipements militaires coûtent excessivement chers. Ils se chiffrent en des centaines de milliards ! C’est énorme. Alors les experts burkinabè cherchent d’autres solutions. Priorité est ainsi donnée à l’équipement individuel du soldat. Et ils se sont attelés sur ce dossier depuis déjà 2015 ! Ils considèrent que le soldat doit être fier de porter la tenue. Une  tenue de bonne qualité, bien ajustée au corps, qui chauffe pendant l’hivernage, ne nécessitant même pas le repassage, et que tous les jeunes de vingt ans n’ayant pas fait leur service militaire voudraient porter. Le soldat burkinabè est confiant quand il sort en opération. Il est bien équipé. Son arme individuelle est parmi les meilleures du monde. Il est protégé du soleil, du froid, de la pluie, des moustiques, et surtout des balles et de leurs éclats. Il peut voir et combattre la nuit. Il est doté de moyens très fiables qui lui permettent de bien communiquer avec ses chefs et ses compagnons de combat. Il fait peur à l’ennemi quand il le voit aussi bien équipé.

D’ailleurs, son adversaire sait qu’il est bien entrainé : un soldat qui sait se poster, se protéger, observer, se déplacer et utiliser parfaitement ses armes. D’ailleurs, le commandement militaire a insisté sur l’entrainement individuel des soldats, et chose aussi importante, sur le combat des petites cellules (l’équipe et le groupe), ces deux niveaux constituant la pièce maitresse de tout succès militaire. Ils ont vu juste !

La deuxième priorité est donnée aux moyens de transport légers, surtout les véhicules de combat. Il faut faire face au terrorisme et au crime organisé. Et ils ont choisi que ces véhicules soient bien protégés contre les effets des armes de petit calibre, dotés de kits ou systèmes de protection contre les explosifs et les mines, tout terrain, fiables, et faciles à entretenir, armés et servant de base de feu pour les soldats engagés, conduits ou pilotés par des chauffeurs chevronnés dans la conduite de combat, de jour comme de nuit, même avec feux éteints !! Mais en même temps, il fallait acheter des hélicoptères de tout type, des hélicoptères neufs, équipés de radars d’observation et de conduite de tir de jour comme de nuit, et pouvant intervenir dans les conditions météo les plus difficiles, à terre comme en mer.

La troisième priorité est donnée aux équipements lourds, comme les chars, les avions de chasse, mais ils coûtent très cher. La solution a été la rénovation de certains de ces moyens, l’acquisition du minimum nécessaire de certains autres. En fin de compte, l’Armée opte pour ce qu’on peut appeler la « Smart Defense » ou défense intelligente.

De nombreuses économies d’échelle sont réalisées.

Ces aspects ne sont qu’une partie des efforts à accomplir. Ils n’émergent pas ex nihilo. De nombreuses actions se mènent déjà dans le cadre de la loi de programmation militaire et des différents plans stratégiques des Forces Armées Nationales. La conjugaison des efforts permettra à l’armée burkinabè d’avoir un visage reluisant dans un proche avenir. Est-il possible que ce rêve devienne réalité ou que la réalité devienne rêve ? Rendez-vous en 2031. Dieu voulant !

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant Chercheur

Ouagadougou