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Cantine scolaire au Burkina Faso : évolution d’une politique à la croisée des chemins

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Dans ce texte, Dr. Amado Kaboré de l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS), analyse le fonctionnement et la viabilité du système cantines endogènes au Burkina Faso et d’explorer les pistes d’amélioration.

Introduction

La cantine scolaire n’est un fait nouveau au Burkina Faso. Elle est arrivée avec l’école moderne. Mais, avec l’annonce du retrait sur une bonne partie du territoire Burkinabè en 2009 de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Catholic relief service (CRS), des initiatives de cantines endogènes ont été développées par les différentes écoles sous l’impulsion de l’État. La cantine endogène est un système qui s’appuie sur les parents d’élèves pour nourrir leurs enfants à l’école comme ils le font à domicile (Diasso D. 2014). Mais, des difficultés sont constatées au niveau de l’approvisionnement et de la gestion des cantines scolaires.

L’objectif de cette recherche est d’analyser le fonctionnement et la viabilité du système cantines endogènes au Burkina Faso et d’explorer les pistes d’amélioration.

Dans le cadre de ce travail, nous avons réalisé une revue de la littérature sur la question. Ensuite, nous avons complété ces informations avec des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (MENA), des ONG et institutions internationales qui interviennent auprès des écoles. Un questionnaire de type semi-quantitatif a été adressé aux directeurs, aux enseignants et aux parents d’élèves des écoles et a concerné l’ensemble des 13 régions du pays. La saisie des données s’est faite avec le logiciel SPHINX. Le dépouillement des données collectées a été fait manuellement.

Dans un premier temps, ce travail revient sur l’évolution des politiques des cantines scolaires. Le travail fait état de la question et propose des suggestions pour une cantine scolaire endogène performante.

  1. Les cantines scolaires pendant la période coloniale

Les cantines scolaires existaient pendant la période de colonisation (Compaoré M. 1995) sous la forme endogène. C’est dire que « les repas servis à l’école provenaient principalement des contributions des parents d’élèves et des collectivités locales. Les vivres nécessaires à l’alimentation des élèves étaient réunis par le chef du village » (T.S, ancien Directeur d’école primaire de 1970 à 1987, entretien du 3/12/2018).

A cette époque sous domination coloniale, les chefs de village étaient contraints de collecter les denrées alimentaires sous forme d’impôt sur les récoltes des familles ayant des enfants scolarisés ou pas (Compaoré M. 1995).

Suite à la réforme de l’école en Afrique Occidentale Française (A.O.F) de 1946, ces cantines scolaires ont évolué vers des coopératives scolaires autrement dit une autogestion assurée par les élèves et leurs parents[i]. Ainsi avec l’instauration de la production agricole à l’école, ces cantines scolaires fonctionnaient sur la base des fermes écoles. En effet, dans les fermes les élèves produisaient tous les besoins alimentaires de la cantine (céréales, légumes, …). Les maîtres étaient commis à l’encadrement des élèves dans ces activités de production.

  1. Les cantines scolaires sous l’ère postcoloniale

A la suite de l’accession à l’indépendance de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), tous les aspects liés au développement de l’éducation ont été transférés aux nouvelles autorités éducatives. Mais aux multiples charges de développement, l’ONG américaine “Catholic relief service” (CRS) s’est proposée, depuis 1962[ii], de prendre en charge entièrement l’alimentation des scolaires. En effet, « les cantines scolaires qui étaient sous la forme endogène, sont devenues des cantines assistées avec l’accord signé entre le Gouvernement de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le CRS » ((Kaboré A., 2018)).

Une autre ONG, “Frère des hommes” apporta son soutien à cette assistance extérieure entre 1967 et 1979. Il s’agissait notamment d’une aide sous forme d’apport en produits nutritifs comme le lait, le poisson, le yaourt et le sel (Kaboré A., 2018). Ainsi, la contribution des parents d’élèves par le biais des associations des parents d’élèves (APE) contribuait au transport des vivres, à la construction des cuisines et leur préparation et à la fourniture des ustensiles de cuisine et du bois. L’alimentation des scolaires était constituée surtout de céréales, de haricots, d’huile végétale apportés par les partenaires et distribuée aux élèves et aux écoliers. L’État voltaïque (burkinabè actuel) était quasiment absent de ce secteur.

Le partenariat entre l’État de Haute-Volta et CRS s’est ainsi poursuivi jusqu’en 1988. Mais, pour des raisons financières et stratégiques l’ONG a entrepris de recadrer son intervention. Cette réorientation s’est traduite par la soustraction des grandes villes de l’aide afin de mettre l’accent sur les zones à très faible taux de scolarisation et d’insécurité alimentaire (Stumpf et Kaboré, 2011). C’est alors que la gestion du programme cantine scolaire est transférée au ministère de l’éducation pour ce qui concerne les écoles non couvertes par le programme CRS. En 1993, CRS n’était présent que dans 5 provinces sur 45, localisées au centre et à l’Est du pays, jugées vulnérables (Zoundi, T. P., 1993).

Depuis 2007, l’ONG a débuté le retrait progressif de sa couverture dans certaines villes comme Koudougou, Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya et des zones ne présentant pas de risques ou d’insécurité alimentaire (Léraba, Comoé, Kénédougou…). CRS intervient désormais dans les zones rurales ou le taux de scolarisation est très bas et où l’insécurité alimentaire est une réalité.

  1. Le retour des cantines endogènes : entre apport de l’État et une nécessaire contribution des parents d’élèves.

Suite à ce retrait progressif de CRS, des initiatives « cantines endogènes » ont été développées à partir du début des années 1990 par les différentes écoles sous l’impulsion du Gouvernement, consistant à une participation des communautés de base dans l’approvisionnement, le fonctionnement et la promotion des cantines en milieu scolaire. Le principal objectif était de réussir à rendre les cantines autonomes par leur approvisionnement en s’appuyant sur une stratégie de développement interne et local.

Pour ce qui concerne la contribution de l’État, elle a d’abord été sous condition. C’est-à-dire que l’école devait mettre en place la « cantine endogène » avant de bénéficier de la dotation en vivres de la part de l’État. D’ailleurs, cette dotation se fait au second trimestre, donc tardive selon le S.V enseignant à l’école primaire de Kando dans la province du Kouritenga. Face cette situation, les écoles sont obligées de s’autogérer d’octobre à décembre voire au-delà.

Depuis 2011, fort du constat de l’insécurité alimentaire dans de nombreuses localités, l’État procède à la dotation automatique de toutes les écoles sans leur exiger les preuves de collecte de vivres. L’État intervient sous forme d’appui. En 2018, sur les 7 579 écoles que compte le pays, 1 596 ont souscrit à cette nouvelle donne (Bakoan Z., 2018). La cantine endogène est avancée dans certains établissements qui servent de modèles. CRS propose comme mesure d’accompagnement à cet engagement des parents, l’instauration des champs, des vergers communautaires et des jardins scolaires. Les céréales, les légumes et les fruits produits seront ainsi utilisés directement dans les cantines. Ce projet est à sa phase pilote dans les provinces du Kourwéogo et d’Oubrittenga.

En 2018, l’initiative « cantine endogène », est une politique s’appuyant sur les parents d’élèves pour l’alimentation scolaire. Pour ce faire, après les récoltes, période correspondant à la rentrée des classes (octobre-novembre), « nous fixons nous-mêmes les quantités et les modalités des vivres que chacun doit apporter[iii] ». Il faut noter que ces décisions sont prises lors des assemblées générales des APE. Selon le directeur de Sao dans la province du Kourwéogo, « le corps enseignant ainsi que la direction s’impliquent dans l’adoption des mesures ». A l’école de Dydir dans la province du Sanguié par exemple, en prévision de la rentrée scolaire 2018-2019, il était demandé à chaque élève d’apporter 2 yorubas[iv] (environ 4,5 kg) de céréales (MENA. 2017). Ces quantités de céréales à apporter par les écoliers varient selon une école à l’autre. Les denrées demandées sont le niébé, le mil, le sorgho, le maïs, l’arachide. Ainsi les parents d’élèves agriculteurs prélèvent de leurs greniers la quantité de vivre à fournir en fonction du nombre de leurs enfants qui vont à l’école. Ceux qui ne sont pas agriculteurs ou qui le sont mais n’ayant pas assez de récolte, contribuent financièrement à hauteur de la valeur du prix de vente de ces céréales sur le marché. Il faut relever que l’idée des « cantines endogènes » ne se limite pas uniquement à l’apport des vivres après les récoltes, certaines communautés des parents d’élèves ont développé des champs et jardins scolaires généralement avec l’appui d’ONG et/ou d’association et dont la production sert à approvisionner la cantine scolaire.

  1. Suggestions d’amélioration de la politique des « cantines endogènes »

Au regard des difficultés de développement des cantines endogènes à l’école, des suggestions sont formulées. Il s’agit notamment :

  • Rendre les cantines scolaires autonomes, en impliquant les communautés locales, tel est le souhait des autorités burkinabè et de leurs partenaires. Le but, c’est d’aller vers une politique nationale, basée sur une stratégie de développement introverti des cantines (P.B.N, DAMSE, MENA). Les partenaires n’en disent pas le contraire puisque le chargé des questions d’éducation de CRS au Burkina Faso souligne qu’« Avec l’État, nous sommes engagés sur une bonne voie pour une politique nationale de cantine scolaire endogène ».
  • Le transfert des cantines assistées vers des cantines endogènes : cette vision semble être la vision commune des acteurs de l’école burkinabè. La cantine endogène ne compte sur aucun appui extérieur. Pour M.Y. du CRS Burkina Faso, « il est évident que pour certains parents, cette contribution est un effort supplémentaire, mais en tant que pays indépendant, nous devons travailler à nous prendre en charge ».
  • Mettre à contribution les Comités Régionaux de la sécurité alimentaire (CRSA[v]) dans le développement des cantines endogènes. Cela pourrait aider à réduire les difficultés de transport vers les écoles.

Conclusion

L’adoption et l’instauration des « cantines endogènes » au sein des écoles afin de compenser et/ou de juguler le retrait du principal partenaire qu’est le “Catholic Relief Service” ou de réduire la part de contribution de l’État demeurent une bonne initiative. Cependant, sans aucune mesure d’accompagnement, de soutien aux écoles, de stratégie, d’implication de diverses structures et surtout d’une volonté politique, ce système ne pourrait être durable. Néanmoins il faut espérer qu’avec le Programme de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle au Burkina Faso (PSANBF) qui vient d’être lancé, visant à atteindre l’Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) : lutter contre l’extrême pauvreté et la faim d’ici 2015, que des propositions concrètes viennent à se dégager sur la question des cantines scolaires.

Références bibliographiques

  • BADOH, A. (2007). « Désengagement de “Cathwel” des cantines scolaires : comment assurer le repas des élèves ? », in Lefaso.net
  • BAKOAN, Z. (2018). Cantine scolaire, état des projets de champs collectifs et jardins scolaires, in AIB/Manga
  • COMPAORÉ, M. (1995). L’école en Haute-Volta : une analyse de l’évolution de l’enseignement primaire de 1947 à 1970, Thèse de Doctorat unique d’Histoire, tome 1, Université de Paris VII, tome 1, Paris.
  • DIASSO, D. (2014). Évolution possible de l’approvisionnement des cantines scolaires au Burkina Faso (partie 2). URL : https://bit.ly/2LTtwVN
  • KABORE, A. (2018). Réformes et politiques éducatives au Burkina Faso de 1960 : place des acteurs nationaux et internationaux dans les stratégies de financement de l’éducation de base, Université Ouaga 1, Pr Joseph KI-ZERBO, Ouagadougou.
  • MENA, MESRSI & MJFIP. (2018). Cadre sectoriel de dialogue éducation et formation (CSD-EF). Rapport sectoriel de performance annuel 2017 du PNDES, Ouagadougou.
  • (2017). Guide de gestion des cantines scolaires à l’usage des communes du Burkina Faso, Ouagadougou.
  • (2018). Rapport de suivi annuel 2017 du PDSEB, Ouagadougou.
  • (2016). ODD 4 Burkina Faso. Profil Pays, URL : https://bit.ly/2iHb599 .
  • ZOUNDI, T. P. (1993). Bilan de la Coopération dans le secteur de l’enseignement Primaire, Paris, PNUD/UNESCO, 21 p.

[i] Diasso Dieudonné (2014). Évolution possible de l’approvisionnement des cantines scolaires au Burkina Faso (partie 2). URL : https://bit.ly/2LTtwVN consulté le 12-11-2018

[ii] Le ‘’Catholic relief’’ service a signé un accord le 25 novembre 1962 avec l’État voltaïque. Il s’est engagé à assurer le déjeuner des élèves de toutes des écoles du pays tous les jours ouvrables et pendant toute l’année scolaire.

[iii] P.O, Président de l’APE de l’école primaire ‘’A’’ Koumbri dans la province du Yatenga.

[iv] Unité de mesure servant d’instrument de mesure dans les zones rurales et les marchés.

[v] La mission des CRSA est de développer et de conduire toute initiative allant dans le sens d’une meilleure couverture en besoins alimentaires au niveau des régions sont dynamisés.