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Côte d’Ivoire: qui était Wattao?

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L'ex-chef rebelle, Issiaka Ouattara dit Wattao

Né en 1967 d’ethnie Koulango, le colonel-major Issiaka Ouattara plus connu sous le pseudonyme de «Wattao» est décédé ce lundi 6 janvier 2020 à New-York, à l’âge de 52 ans. Le natif de Doropo, commune située à l’extrême Nord-est de la Côte d’Ivoire dans la région du Bounkani, est considéré comme l’un des leaders des ex-chefs rebelles ivoiriens ayant lutté contre le régime de Laurent Gbagbo. «Généreux, jovial, grand rassembleur et humaniste», les qualificatifs ne tarissaient pas quand il fallait parler de l’ex-chef d’état-major du Mouvement patriotique ivoirien (MPCI) dont le QG était basé à Bouaké. Homme fédérateur de par sa tempérance et sa capacité d’écoute, Wattao était aimé par les hommes de tenue qui ont combattu aux côtés de son «ami et frère» Guillaume Soro, ex-porte-parole des Forces nouvelles (FN).

Fils d’une famille de commerçants, Issiaka Ouattara dit Wattao, à son jeune âge, comme la plupart des enfants de son époque, a suivi l’école coranique alternée avec l’école moderne. Très tôt, son envie d’aider son père, lui fera arrêter son cursus scolaire en classe de cinquième, pour apprendre, entre autres, la mécanique. C’est à l’âge de l’adolescence, à 18 ans précisément, que Wattao intégrera l’armée, d’abord par le biais du service militaire. Mais c’est officiellement en 1990 qu’il a été engagé après une mutinerie exécutée par ceux qui ne voulaient plus reprendre leur vie civile. C’était pour lui et les enfants des pauvres, la «seule chance» d’intégrer l’armée, aimait-il raconter.

Ancien judoka, pratiquant à un haut niveau de compétition de cet art, Wattao, a évolué dans la Société omnisport de l’Armée où il a remporté le titre de vice-champion d’Afrique de Judo à Hararé en 1992. Il a participé, dans la même année, aux jeux de la Francophonie. Et son sobriquet, Wattao lui a été attribué par son professeur japonais qui n’arrivait pas à bien prononcer son nom «Ouattara».

L’ascension de Wattao

En 1999, le soldat de 2è classe participe à une grogne de ses frères d’armes, notamment, les éléments envoyés à une mission onusienne en Centrafrique et qui réclamaient leurs dus. Ce mouvement a fini par emporter le président Henri Konan Bédié et porter le général Robert Guéï au pouvoir. Issiaka Ouattara sera un élément clé du groupe de Ibrahim Coulibaly dit «IB», tué lors de la crise post-électorale de 2011. Wattao fera même partie de la garde rapprochée du général Guéï. C’est dans cette aventure que leur groupe a été accusé de vouloir renverser le général Robert Guéï au profit de Alassane Ouattara qui faisait figure de principal opposant au pouvoir.

Arrivé au pouvoir en 2000, Laurent Gbagbo, se montre très méfiant de la bande de Ibrahim Coulibaly dit IB dont Wattao était un élément clé, car ce groupe aurait participé au renversement du régime de Bédié et même celui de Robert Guéï, qui a été assassiné. Cette accusation se révélera fatale pour Wattao et ses compagnons qui seront arrêtés le 1er septembre 2000. Manœuvré et torturé comme ses compagnons, au camp d’Akouédo à Abidjan, Wattao gardera des séquelles physiques surtout au niveau de ses genoux pour toute sa vie.

Contraints à l’exil car visés par la justice militaire, Wattao et ses camarades, à la faveur d’une attaque de leur camp de leur poudrière fin octobre 2000, s’exileront au Ghana puis au Burkina, avant de refaire leur apparition sur la scène ivoirienne au sein des Forces nouvelles qui occupaient la quasi-totalité du Nord de la Côte d’Ivoire et exigeaient le départ de M. Gbagbo.

A l’instar de ses autres camarades seigneurs de guerre, le «Saha Bélébélé (gros serpent)», surnom de Wattao, a joué un rôle important dans cette crise politico-militaire en Côte d’Ivoire de 2002 à 2011 qui a abouti aux élections ayant conduit l’actuel président Alassane Ouattara au pouvoir. Proche de Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles en son temps, Wattao participera de façon active à la rébellion du 19 octobre 2002 qui luttait principalement contre la stigmatisation des Ivoiriens du Nord, notamment les Dioula dont est issu Alassane Ouattara.

Début avril 2011, lors de l’offensive sur Abidjan pour déloger le président Laurent Gbagbo du palais présidentiel, Wattao avec sa puissante unité de feu, «Anaconda» dirige avec son cousin Morou Ouattara et le commandant Hervé Touré connu sous le pseudonyme de «Vétcho», deux autres redoutables chefs rebelles, l’assaut final sur la résidence. Après la chute de Gbagbo, Abidjan a été divisé en plusieurs «zones de sécurité» et Wattao avec son unité «Anaconda» prend possession de l’ensemble des quartiers sud d’Abidjan, de Treichville à Port-Bouët, considérés comme les principaux quartiers réputés riches, ainsi que le port autonome de la capitale économique ivoirienne. Selon certaines sources, c’est à partir de là que Wattao se serait bâti une grosse fortune.

Son entrée au sein de l’armée régulière

Après, cette aventure mettant fin à la crise, comme d’autres chefs rebelles, «Saha Bélébélé» sera nommé au sein de l’armée régulière, d’abord Commandant en second de la Garde républicaine, puis, en 2013, commandant adjoint du Centre de coordination des opérations décisionnelles (CCDO), une force mixte de près de 1 000 hommes, bien équipée, chargée de sécuriser Abidjan. Il restera une pièce importante du dispositif militaire ivoirien de 2011 à 2014. En août 2011, il est nommé Commandant en second de la Garde républicaine, avec pour supérieur Cherif Ousmane. Il est élevé, avec la plupart des autres comzones, au grade de lieutenant-colonel au début de l’année 2014.

Trop critiqué sur le plan moral le natif de Doropo va être démis de ses fonctions de commandant de la sécurité des quartiers sud d’Abidjan et de son rôle de chef des opérations du CCDO. Le pouvoir, l’enverra le 28 août 2014 au Maroc pour une formation d’une durée de dix mois à l’Académie royale militaire de Meknès.  

L’ex-chef d’état-major adjoint du Mouvement patriote de Côte d’Ivoire (MPCI), sous la rébellion, a refait surface en 2017 à la suite d’une mutinerie qui a secoué le pouvoir de Alassane Ouattara. Issiaka Ouattara sera la personne désignée en toute confiance pour faire entendre raison aux éléments remontés, et la mission a été accomplie selon les attentes des autorités à qui il n’a cessé d’affirmer qu’il leurs sera loyal jusqu’à la fin de leurs responsabilités.

Fière allure dans sa tenue militaire, Wattao dégageait un charisme du haut de son mètre quatre vingt dix, avec sa brèche qui rassurait plus d’un de sa force. Celui dont l’armée ivoirienne pleure la disparition est resté discret jusqu’à ce jour, date de son décès à New-York. Le colonel-major laisse derrière lui, huit enfants et une famille biologique dans la douleur. Généreux, Wattao rend également orpheline une famille du showbiz, une région (Bounkani) et un pays inconsolables. 

Par Bernard BOUGOUM