Il s’appelait Ibrahim Boubacar Keïta. Il était, à ce jour, le dernier président de la république du Mali démocratiquement désigné par les Maliens. Il a été élu en 2013 pour un mandat de 5 ans et réélu en 2018 pour un nouveau quinquennat qu’il ne terminera jamais. Accusé de mal gouvernance et d’incapacité à mettre fin aux attaques armées et conflits intercommunautaires qui minent le Mali, il a fait face à une forte contestation populaire emmenée par le M5-FPR de l’imam Mahmoud Dicko. Il sera finalement déposé, le 18 août 2020, par une poignée de militaires sortis du laboratoire de coups d’Etat de Kati, qui le séquestrent et le contraignent à la démission avant de le relâcher. Il passera ensuite le reste de son temps entre les hôpitaux turc d’Istanbul et américain d’Abu Dhabi aux Emirats arabes unis, dans sa longue lutte contre la maladie.
Un combat dont le dénouement sera fatal, à l’ancien président malien. Le «Kankélétigui» ou «l’homme qui n’a qu’une parole», aurait soufflé 77 bougies à la fin de ce premier mois de l’an 2022. S’il n’avait pas passé l’arme à gauche, ce dimanche à Bamako, jour de mariage selon ses célèbres compatriotes, le couple Amadou et Mariam, il aurait applaudi la belle prestation des Aigles du Mali qui jouaient, au Cameroun, leur deuxième match de Coupe d’Afrique des nations (CAN 2021). Il aurait sans doute partagé la petite déception de tous les Maliens, leur équipe nationale qui tenait le bon bout pour une brillante qualification au deuxième tour ayant dû concéder le partage des points (1-1) avec la Gambie. Triste fin pour celui qui se qualifiait lui-même de «musulman cartésien» et qui, dépassé par les événements et ce trop-plein d’amertume d’un homme qui s’est dit trahi et s’est laissé mourir, à en croire ses derniers visiteurs du soir.
Mais, ce qui est certain, celui qui était mieux connu sous ses trois initiales, IBK, a été plus rongé par un moral qu’il avait au talon depuis les débuts des manifestations contre son régime jusqu’à sa mort. Affublé des 7 péchés capitaux en version politique, Ibrahim Boubacar Keïta aurait bien voulu vivre et mourir dans un autre Mali que celui d’aujourd’hui, écartelé entre putschs militaires, attaques djihadistes, violences communautaires, et Covid-19. Il quitte définitivement un Mali pris en otage par ses anciens geôliers qui, pourtant, étaient venus juste pour arbitrer une crise entre gouvernants et gouvernés, mais s’installent dans la durée. Contre le refus des militaires putschistes de remettre le pouvoir dans les délais aux civils, par des élections démocratiques qui étaient prévues pour février, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) prend alors contre eux, des sanctions radicales dont certaines peuvent être discutées, mais le paquage étant celui réservé habituellement à des cas aussi…inhabituels de prise de pouvoir par les armes.
Question: comment les dirigeants ouest-africains se rendront-ils aux obsèques de leur ancien homologue qui a gardé des liens d’amitié étroits avec certains d’entre eux, les frontières des pays de l’espace CEDEAO étant fermées au titre des mesures de l’organisation sous-régionale? Sans oublier qu’en représailles et au titre de réciprocité, le colonel double-putschiste, Assimi Goïta, et les siens ont également fermé les mêmes frontières aux mêmes pays? A moins qu’une paix des braves interviennent comme par miracle ou qu’une trêve soit décrétée par les deux parties! Ce serait le meilleur hommage rendu à IBK, le chantre du «Maliba», dont l’ambition, dévoilée en tout cas, était de recoller les morceaux d’un pays en lambeaux, du fait des conflits intercommunautaires et du terrorisme, et d’en refaire ce grand Mali de Soundiata Keïta le «roi des rois» qui a réuni tous les royaumes pour en faire l’Empire du Mali au XIIIe siècle. Autre question: Karim Keïta, le fils de IBK en exil, et accusé par la justice de son pays, dans des dossiers de malversations, bénéficiera-t-il de la clémence des hommes forts de Bamako pour le recueillement ultime sur le cadavre de son père?
Pour le moment, le Mali qui, à l’appel de la junte, a connu une grande mobilisation, ce vendredi, contre les sanctions de la CEDEAO, demeure en effervescence, marqué par une transition qui s’étire et qui s’apprête à enterrer son troisième ancien chef de l’Etat, en l’occurrence Ibrahim Boubacar Keïta, après Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré. Dans ce trio s’était glissé un intrus, Soumaïla Cissé, plusieurs fois ancien candidat malheureux, notamment contre…IBK. Et si le Mali et la CEDEAO mettaient fin à la guerre pour pleure IBK? Sans doute un vœu pieux!
Par Wakat Séra
