Accueil A la une Francophonie: peut-on y croire encore?

Francophonie: peut-on y croire encore?

0
Sommet de la Francophonie en Tunisie

La ville tunisienne de Djerba a accueilli, les 19 et 20 novembre 2022, la 18ᵉ grand-messe de la francophonie. Le but affiché des principaux acteurs, en y allant, n’était pas du tout caché: partant de l’amer constat que le français «décline» dans bien des parties du monde, les participants s’étaient donné pour objectif de redresser la barre pour faire à nouveau progresser la langue de Molière, bien que le sommet soit focus sur l’économique. Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, on peut le dire tout net, un sommet, un seul, ne suffira pas vraiment pour remettre à flot cette langue française qui perd du chemin. Si le constat du déclin du français est le bon, le diagnostic à poser devrait l’être tout autant. Mais là, il semble que l’on se heurte souvent à une véritable manœuvre de langue de bois!

Car il convient de se poser réellement les vraies questions, à propos de cette francophonie. On sait qui en est membre, reste à savoir qui y croit vraiment!

Tenez! Pour ce 18è sommet, par exemple, le président français, Emmanuel Macron himself, arrivé pour le sommet, à son premier jour, Samedi, repartira dans la soirée, abandonnant le reste des travaux aux autres participants. Avouons-le, pour un pater familias d’une institution, c’est un peu cavalier.

Ce genre  d’attitude conforte d’ailleurs la conviction de ceux qui trouvent que la francophonie est bel et bien une savante invention de l’ancienne colonisateur, confiée à l’ancien colonisé à qui il a été assigné la mission de faire luire et prospérer la langue, la culture et la civilisation de son ancien colon. Pendant de longues années cela s’est passé ainsi, sans ambages. Surtout que le passé de la francophonie, en témoigne le rôle déterminant joué par ses pères fondateurs, dont le Tunisien Hqbib Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, le Sénégalais Léopold Sedar Senghor, a été africain et que son avenir semble également reposer sur l’Afrique. Le hic est cependant que de nos jours, des populations africaines essentiellement jeunes et décomplexées, jurent qu’il est nécessaire d’opérer même ici, sur le continent, une sorte de rupture. Et alors, ça change tout, même si dans la classification des quatre principales villes francophones, Paris est deuxième et les trois autres africaines!

Des signes évidents indiquent de plus en plus que la francophonie perd de son charme et de son pouvoir d’attraction. Il est loin le temps où on entendait dire «ma patrie la France, ma langue le français». Elle est révolue, l’époque où Senghor s’échinait à convaincre les Africains des bienfaits que confère l’appartenance à la belle et grande famille de la francophonie sous l’égide de l’ancienne mère colonisatrice.

Et pour cause! Les Français eux-mêmes, en même temps qu’ils vantent les bienfaits de cette francophonie, n’hésitent pas à se cultiver dans la langue de Shakespeare et à s’y exprimer couramment. Il n’est pas rare que des responsables politiques de l’Hexagone s’expriment en anglais avec un excellent accent d’Oxford, de Cambridge ou de Havard. L’anglais se classe en bonne position dans le système d’enseignement de leurs écoles et instituts. En un mot comme en mille, les Africains membres de cette institution n’ont pas à se montrer plus royalistes que le roi, même c’est grâce au français que la multitude de nationalités qui cohabitent sur le continent commercent entre elles!

Sans compter que par les temps qui courent, la francophonie qui reste très culturelle, ne peut qu’assister, impuissante, aux 3ᵉ mandats et à la prise de pouvoir par les militaires dans certains de ses contrées en l’occurrence le Tchad, le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. Sans oublier non plus cette avancée, canons en l’air du M23 dans l’est de la RD Congo qui accuse son voisin rwandais de soutenir le mouvement rebelle. Les deux pays sont francophones, même si Kigali a déposé, depuis lors, armes et bagages au Commonwealth où viennent de le rejoindre le Gabon et le Togo qui gardent un pied dans la francophonie.

Sous les tropiques, les centres culturels anglais et américains connaissent un engouement certain, sans compter les instituts Confucius chinois qui proposent d’apprentissage du Mandarin. Les populations africaines se font de nouveaux amis dont ils apprennent à aimer la langue, la culture et la civilisation, au détriment de celles de leur partenaire séculaire. Certains le font par dépit, d’autres par réalisme et d’autres encore par désir de vengeance.

Alors, l’interrogation demeure : la francophonie, qui y croit vraiment ? De nos jours, pas grand-monde, puisqu’elle sombre. Va-t-elle se noyer ? Peut-être pas si l’institution revient à certains de ses fondamentaux, accepte de se remettre en cause, opère une véritable mue et respecte davantage ces nations et populations jadis « indigènes » sur lesquelles elle compte pour rayonner,  reluire, et faire prospérer langue, civilisation et cultures françaises. Reste à savoir si elle voudra le faire et si elle saura le faire. En attendant, la France peut commencer à ouvrir ses frontières en accordant avec plus de facilité, des visas aux chercheurs, artistes, étudiants et sportifs africains !

Par Wakat Séra