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Procès Thomas Sankara: des victimes ont été « identifiées par la reconnaissance visuelle » (expert)

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Le président Thomas Sankara (DR)

Trois experts désignés pour travailler sur le dossier Thomas Sankara et douze autres personnes, étaient à la barre du Tribunal militaire le mercredi 12 janvier 2022 pour répondre aux questions d’éclaircissements des différentes parties du jugement. Selon leur rapport, certaines victimes ont été « identifiées par la reconnaissance visuelle » qui est une des méthodes en plus de l’analyse de l’ADN.

Le professeur Robert Soudré, anatomiste et pathologiste admis à la retraite, le Dr Norbert Ramdé, expert en réparation de dommages corporels, et le commissaire divisionnaire Moussa Millogo, expert en balistique, se sont prêtés aux questions de la Chambre de jugement du Tribunal militaire, du parquet militaire, des avocats de la partie civile et de la défense sur les informations qu’ils ont pu obtenir après leurs travaux d’expertise. Il faut noter qu’ils avaient pour mission de réaliser l’autopsie sur les restes des corps des victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987, de rechercher les projectiles utilisées lors des tirs et l’analyse des tests ADN.

Cette tâche amènera l’équipe des techniciens du dossier emblématique à se rendre au cimetière de Dagnoën ou les victimes ont été enterrés à la sauvette, par la suite, à l’hôpital au Yalgado Ouédraogo, le plus grand centre public de santé du Burkina Faso et enfin au camp de la Gendarmerie de Paspanga, plus précisément à l’infirmerie.

Les experts relèvent que les tombes ayant subi l’effet du temps, une trentaine d’années, beaucoup d’informations qu’elles pouvaient contenir, ont été détruites. Si fait que par exemple, les prélèvements biologiques aux fins d’expertises d’ADN, n’ont pas été possibles parce qu’ils n’étaient pas exploitables. Le Pr Robert Soudré a déploré de la profondeur des tombes qui variait entre 20 à 50 centimètres. Il a déclaré que son équipe a trouvé des objets personnels des victimes dont des anneaux de mariage et des pièces d’identification. « Sur certains corps, nous avons trouvé des Cartes nationales d’identité (CNIB) et des cartes militaires », a-t-il dit. Selon l’analyse du professeur, « les victimes ont subi une mort violente et criminelle », a confessé l’expert.

L’expert en balistique, le commissaire divisionnaire Moussa Millogo, a signifié que leur enquête ne leur a pas permis de « retrouver des balles dans les corps des victimes mais cela ne veut pas dire que les victimes ne sont pas mortes balles ». Il dit avoir noté trois catégories de munitions qui ont été utilisées lors de la fusillade au Conseil de l’Entente. Le commando s’est servi des Kalachnikov, des HK G3 et PA ou des pistolets mitrailleurs pour tirer sur les victimes avec des balles de calibres 7,62, de 9 millimètres et de 20 mm.

L’expert Moussa Millogo a expliqué que le président Thomas Sankara a reçu plusieurs balles de face comme de dos. Mais pour le parquet il n’arrive pas à comprendre comment le président Sankara a pris des balles dans son dos alors qu’il faisait face aux assaillants au moment des tirs. Et cela, selon les déclarations des accusés et des témoins qui ont soutenu que le chef de l’Etat est sorti dans la salle de réunion les mains levées face à ses bourreaux. Le Pr Robert Soudré et le commissaire Millogo ont signifié que certainement dans son mouvement au moment où il s’écroulait après avoir reçu les tirs, il a dû pivoter et des balles ont pu l’atteindre dans son dos. Selon leurs propos, Thomas Sankara a reçu plusieurs balles presque tout le long de son corps notamment dans la partie supérieure de son corps, son bas ventre et aussi sa cuisse. Les experts disent n’avoir pas cherché à comptabiliser le nombre de balles que le président a reçues.

Le Dr Norbert Ramdé a affirmé qu’ils attendent toujours des résultats d’un laboratoire privé à l’étranger pour ajouter au rapport. Il a regretté que les deuxièmes résultats disponibles ne leur ont pas été communiqués.

A la suite de l’audition des experts, le Tribunal a fait diffuser la vidéo de la reconstitution des faits du coup d’Etat du 15 octobre 1987. Cela a permis au public de suivre les explications de certains acteurs (accusés comme témoins) invités à cet effet, venir donner des éclaircissements sur leur position, ce que chacun a fait et où il était.

La troisième partie de l’audience de ce mercredi a été consacrée au passage de certains parents des victimes. Il s’agit des proches des victimes dont le sergent-chef Amadou Sawadogo, du soldat Ouédraogo Walilaye et du journaliste Paulin Bamouni. Tour à tour à la barre, Issa Sawadogo, Issa Ouédraogo et Céline Bamouni ont remercié le Tribunal qui leur permet de parler enfin sur cette affaire qu’ils ont attendu assez longtemps. Pour eux, cela est comme une catharsis qui va guérir des plaies et apaiser des victimes qui en avaient gros sur le coeur. Selon leurs propos, le drame a joué sur leur famille respective car leurs proches qui ont trouvé la mort à la suite du coup d’Etat, étaient les piliers de leurs familles.

Céline Bamouni avait onze ans quand on a tué son papa qui a décidé de quitter la France pour venir travailler pour le développement de son pays. « Le 15 octobre 1987 tout était confus, personne ne savait ce qui se passait. Moi je croyais fermement que mon papa allait revenir avec l’innocence de mon âge. Le 16 octobre a été un drame car c’est ce jour qu’on a appris la mauvaise nouvelle », s’est-elle exprimée, la voix nouée de douleur. Céline Bamouni a regretté que sa maman qui a perdu son mari à 33 ans, soit décédée 33 ans après, c’est-à-dire l’année dernière seulement, au moment où le dossier avait trouvé le bout du tunnel après plusieurs blocages. « Elle est partie malheureuse. Elle a été traumatisée par cet événement », a-t-elle témoigné, regrettant que sa mère n’ait pas pu suivre le jugement qu’elle a attendu de toute sa vie. Elle a ajouté que « le départ prématuré de papa a causé aussi la mort de ses parents biologiques (père et mère) à cause du chagrin ».

Le procès reprendra le lundi 24 janvier 2022 pour le début des plaidoiries des différentes parties.

Par Bernard BOUGOUM