Accueil A la une Retour de la guerre en Europe: que peut faire l’Afrique?

Retour de la guerre en Europe: que peut faire l’Afrique?

0
Le président en exercice de l'Union Africaine, le président sénégalais Macky Sall, négocie un cesser-de-feu en Ukraine auprès du président russe Poutine (Ph. d'illustration)

Les peuples slaves d’Europe s’entredéchirent. Dénazifier ou Occidentaliser? Il apparait que le bon sens et la paix ethnique sont rompues. L’intervention militaire russe en Ukraine et l’escalade en vue consacrent le cours de la guerre en Europe, notre voisin proche. Sans cet envoi massif des armes offensives aux forces ukrainiennes en lien avec la doctrine américaine épelée par le ministre de la Défense Lloyd Austin d’«affaiblissement de la Russie afin qu’elle ne recommence plus jamais», l’on aurait pu simplement constater une simple conflictualité limitée, une escarmouche digne des disputes picrocholines soviétiques.  Après tout, La Fédération de Russie n’est sûrement pas la première à violer la Loi internationale pour peu qu’on se rappelle des guerres d’Irak et celle faite contre la Libye en vue de renverser le régime sous le prétexte fallacieux d’une intervention dictée par le droit de protéger les populations civiles.

Les Africains sont témoins des crimes, de l’esclavage à Tripoli, du chaos démentiel et plus grave, de l’essaimage des forces terroristes dans le Sahara-Sahel et peut-être même, si l’on n’y prend garde, vers le golfe de Guinée. L’intervention russe en Ukraine et les interventions otaniennes sont toutes pareilles, en flagrant délit de banditisme international: la violation flagrante de la souveraineté des Etats et de la loi internationale et partant, l’Occident et la Fédération de Russie échouent à administrer le leadership global par l’exemple et la force de l’exemplarité morale depuis 1989. L’Afrique ne peut donc choisir entre deux schizophrénies. Elle les condamne toutes.

Ainsi, l’escalade en cours et le reniement subséquent des traditions de neutralité de la Suède et de la Finlande tout comme les orchestrations d’élargissement de l’Otan aux voisins proches géorgiens, moldaves de la Russie versus menaces et sentiment russe d’encerclement, voilà autant de sujets sur lesquels, la diplomatie onusienne et pourquoi pas, l’Union Africaine et la République Turque doivent construire un consensus et des accommodements raisonnables au nom de la paix et de la sécurité collective. Or que constate-t-on? Une célébration de l’erreur stratégique du Président Poutine qui a consisté à sous-estimer le sentiment national ukrainien, la source   vive de cohésion et de résistance à l’hégémonie russe. En lieu et place de l’intervention éclair qui aurait produit l’effondrement du pouvoir central ukrainien, la reddition des forces ukrainiennes ou le putsch pour changer le leadership national, aucune de ces attentes du Président Poutine ne se sont produites. Au contraire, cette opération militaire a sédimenté, cristallisé et renforcé l’identité nationale ukrainienne en maturation depuis 2014 suite au rattachement par voie référendaire de la Crimée à la mère Patrie russe. Nationalismes en vogue.

L’autre conséquence de cette intervention russe reste le passage de l’Otan de la mort cérébrale, selon le Président Macron, à la revitalisation et ses nouvelles lettres de crédibilité protectrice et surtout, ce changement paradigmatique allemand comme engagement à la militarisation depuis 1945, la suspension du gazoduc Nord Stream 2, l’exclusion de banques russes du SWIFT et plus encore déterminante, la décision d’envoyer des armes à l’Ukraine, même si elles sont obsolètes. Quel changement tellurique et retors!

Alors, la question prioritaire de géopolitique est: l’Occident jadis somnambule est-il de retour? Poser même cette question en dit long sur le fait que cette intervention russe acte le Turning Point pour l’Occident et administre aussi la preuve que l’Amérique tient là l’aubaine, l’opportunité de montrer, après l’échec retentissant afghan contre les Talibans, de l’embourbement de l’Armée russe et la preuve de sa diplomatie erratique. Il existe tout de même des limites au gain stratégique occidental. De par le monde surgit ce regain de Non alignement entre les deux solitudes, du Brésil au Mexique, de l’Afrique du Sud à l’Inde, cette neutralité inouïe des partenaires stratégiques occidentaux du Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite, les Emirats et leurs poids énergétique en faveur de la Russie, membre de l’Opep. Certes il y eût un vote à l’ONU condamnant l’intervention russe en Ukraine tenu le 25 février 2022. Mais il reste aussi que la Chine est restée fidèle et loyale à la déclaration d’amitié Poutine- Xi, sans limites. Précision de taille.

Autant Poutine isole la Russie de l’Occident libéral, autant l’Otan n’a pas la grosse cote dans le reste du monde. Autant l’intervention russe en Ukraine et vassalisation de ce pays seulement indépendant en 1991 est une erreur stratégique terrible, autant l’escalade offensive par l’envoi des armes aux forces ukrainiennes par l’Occident otanien dit la velléité d’imposer une guerre ingagnable à la Russie par procuration. Deux turpitudes pour les enfants du monde et singulièrement ceux d’Afrique dont l’attachement à la Paix conviviale est ancestral. L’Afrique sous la houlette du Président Macky Sall devrait prendre une initiative de Paix pour conjurer la guerre totale en Europe, chez notre partenaire traditionnel (militaire, économique et diplomatique). La guerre dont le carburant en 1939 comme en 2022, demeure la volonté d’humilier l’autre. Avant l’intervention russe en Ukraine, le Président Poutine avait laissé entendre que l’Ukraine pouvait d’elle-même, souverainement, renoncer à entrer dans l’Otan. Hélas, cette invite amicale ou contrainte stratégique a échoué. Il fit donc la guerre. A son corps défendant ?

Comment alors sortir ces deux entités hégémoniques rivales de leur impasse tactique? La politique du bâton et de la carotte vaut seulement pour les enfants du monde ne disposant pas d’armes nucléaires. La Russie a l’arme nucléaire et la volonté de faire la guerre. Les Ukrainiens ont la volonté et des parrains nucléaires anglo-saxons pour continuer la résistance. D’où l’impasse des deux somnambules qui vont au désastre tandis que leur guerre informationnelle asymétrique gâche la sérénité des autres enfants du monde.

L’Afrique doit conjuguer son initiative avec celle du Président Erdogan de Turquie otanienne mais à équidistance des belligérants et cobelligérants occidentaux sournois. Oui, la Turquie détient une clé d’empêchement de l’élargissement de l’Otan. Elle vient de l’énoncer. Les deux initiatives conjointes constateront et argumenteront que le Président Poutine s’est ravisé dans ses prétentions initiales et que, volens nolens, c’est une fenêtre ouverte sur le début de la voie diplomatique pour mettre fin à la guerre en expansion. La Turquie est pivotale. Elle a des moyens et la crédibilité nécessaire pour jouer ce rôle. L’Afrique doit s’y joindre comme entité globalement libérale neutre et non occidentale même si elle est arithmétiquement proche de l’Otan. Les échecs sédimentés des Accords de Minsk I et II montrent que les parrains français et allemand ont perdu la main pour jouer les facilitateurs de paix. Pire, ces deux parrains sont devenus des acteurs de la belligérance prolongée. Ils n’offrent plus de solution diplomatique équilibrée et contre l’identité européenne en bisbilles stratégiques, ils engraissent l’escalade comme si elle était l’unique issue au retour de la guerre en Europe.

Effarant! Cette guerre par triangulation tactique doit cesser sinon nous serons tous, bientôt, dans sa mutation en Terra incognita. Un effroi sans nom! L’Europe doit éviter de se redécouvrir la Mère Courage et ses enfants de Bertolt Brecht (1941) et l’Afrique, toujours opposée à la scélératesse de dominer les autres, peut l’aider par une initiative conjointe de Paix conviviale pour tous, avec la Turquie.

Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, Philosophe