Accueil Editorial Tabaski au Burkina: entre crise économique et deuils

Tabaski au Burkina: entre crise économique et deuils

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Le marché des moutons connaît une lenteur exceptionnelle selon des commerçants de bétail (Ph. news.aouaga.com)

Où trouver le bon mouton au prix le plus avantageux, à la portée d’une bourse modeste? C’est la question qui a taraudé la plupart des fidèles musulmans burkinabè, pour cette fête de l’Aïd El Kébir, communément appelée Tabaski. Comme à l’accoutumée, les plaintes ont été la chose la mieux partagée, sauf que cette année, les jérémiades étaient dans deux sens. En effet, pendant que les acheteurs potentiels se lamentaient sur la cherté de l’animal idéal pour le sacrifice, les commerçants eux manquaient de larmes pour pleurer la lenteur, voire l’inexistence du marché. Ceci expliquant sans doute cela, la bête engraissée et bichonnée pendant des années a difficilement trouvé preneur. Seuls ses bêlements de supplicié, candidate à une mort certaine pour la noble cause de la religion, déchiraient le silence des marchés de bétail d’habitude très animés. Pourtant, que les affaires aient tourné au ralenti ou pas, il a fallu, en bon musulman immoler ce mouton pour faire honneur à la famille ou rendre heureuse la belle-famille. C’est ainsi que les prêts bancaires contractés le plus souvent au titre de la rentrée scolaire qui s’annonce à pas de géant, ont été détournés à des fins festives. Pour le reste, Allah y pourvoira! D’autres crédits serviront bien à rembourser le prêt scolaire, toute chose qui contribuera à enfoncer davantage le Burkinabè lambda, pauvre mais soucieux et fier de tuer son mouton, dans un cycle interminable d’endettement inutile. Et c’est des lendemains de fête qui déchantent forcément.

Mais ce n’est pas que le prix du mouton qui a rendu sa chaire amère cette année au Burkina. Le Pays des hommes intègres n’a pas fini de pleurer toutes les larmes des 19 morts de l’attentat terroriste toujours non revendiqué du 13 août dernier qui a frappé le Café Aziz Istanbul sur l’avenue Kwamé Nkrumah. Les Burkinabè n’ont pas non plus séché les larmes provoquées par la disparition, le 19 août, à Paris, du président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo, celui-là même qui permettait à nombre de familles musulmanes du Burkina de faire partir des pèlerins en Terre sainte et à d’autres de s’offrir le mouton de Tabaski. La page triste s’est allongée ces derniers jours avec la perte du célèbre journaliste et chroniqueur de faits divers, Sakré Seydou Ouédraogo et celle tragique d’un militaire abattu par un gérant de kiosque de transfert électronique d’argent. Bien que l’intention n’est pas d’ouvrir une plage nécrologique, on ne saurait occulter le décès à la Mecque, d’un pèlerin burkinabè des suites de maladie, selon le comité d’organisation. Le mouton de ce vendredi n’a donc pas le même goût pour tous les Burkinabè. Certains n’y penseront même pas, leur cœur n’étant point à la fête. De même, l’avenue Kwamé Nkrumah qui accueillait, en ces occasions du beau monde dans les cafés, restaurants et autres maquis qui s’y trouvent, présente une allure bien fantomatique ces jours d’après attentat. Même si les Burkinabè, dans une marche silencieuse le 19 août pour rendre hommage aux victimes de l’attaque odieuse du Café Aziz Istanbul, ont décidé de «rester debout» pour ne pas céder aux forces du mal.

Malgré tout, la fête la plus importante de l’Islam aura lieu, et sera déclenchée par la grande prière de ce matin. Car la religion recommande d’offrir le mouton de l’holocauste, en mémoire de la grande foi d’Ibrahim qui a accepté de sacrifier, sur l’ordre de Dieu, son unique fils Ismaël, avant que l’archange Jibril envoyé par le même Dieu, vienne au dernier moment, substituer à l’enfant un mouton qui servira d’offrande sacrificielle. Et une fois de plus pour sa fête, le mouton, ironie du sort, sera mangé à toutes les sauces.

Par Wakat Séra