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8-Mars au Burkina: femme déplacée interne «tu mangeras à la sueur de ton front»!

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Elles vendent le sable et les gravillons pour subvenir à leurs besoins

La Journée internationale des femmes, qui commémore la lutte pour les droits des femmes, est célébrée le 8 mars de chaque année à travers le monde. Au Burkina Faso, en lieu et place des cérémonies officielles, une équipe de Wakat Séra a rencontré, le mardi 7 mars 2023, des femmes déplacées internes sur le site de Pazani, dans le Nord de la capitale burkinabè, pour voir comment elles passent leur journée du 8-Mars. Reportage.

«Tu mangeras à la sueur de ton front!», ce verset biblique illustre bien la situation de ces trois femmes que nous nommons Hadizatou, Adjara et Haoua. Elles sont, toutes les trois, des personnes déplacées internes qui ont trouvé refuge avec plusieurs des leurs sur le site de Pazani, à la périphérie nord de la ville de Ouagadougou où une équipe de Wakat Séra les a rencontrées, le mardi 7 mars 2023, veille de la Journée internationale des femmes (8-Mars). Pendant que certaines femmes faisaient leurs dernières courses au marché en vue de la fête le lendemain, les trois quinquagénaires cuisaient, elles, sous un soleil ardent, à la recherche de leur pain quotidien.

Ces femmes disent ne pas avoir la tête à la Journée de 8-Mars

Un vieux seau, une pelle, un morceau de bois en forme de gourdin, un tamis et un bout de balai. C’est le matériel de travail de Hadizatou, Adjara et Haoua, des femmes battantes. Leur travail consiste à creuser la terre pour en extraire le sable et les gravillons. La pelle pour creuser, le balai pour rassembler la terre, et le tamis pour séparer le sable des gravillons. Après tamisage, les deux sont entassés séparément.

Têtes voilées, totalement couvertes, le cache-nez soigneusement porté, le tout pour se protéger du soleil ardent et de la poussière. A la tâche depuis quelques heures, elles ont réussi à creuser assez pour réunir une quantité importante de sable et de gravillons alignés en tas. Ces tas, fruit de leur dur labeur, sont par la suite vendus par les braves dames qui tirent ainsi de ce commerce le revenu  qui leur permet de s’occuper de leurs enfants qui vivent avec elles.

Un chargement de tricycle vendu entre 3 000 et 4 000 FCFA

La ténacité malgré la chaleur du soleil

L’activité de creusage, de balayage et de tamisage est bien épuisante pour ces femmes. Mais les trois intrépides en ont fait leur gagne-pain, parce que n’ayant pas d’autre choix, selon leurs confidences. «Au début, on bénéficiait de beaucoup d’aides, des vivres, de l’argent. Mais nous sommes devenus trop nombreux, et les dons ne suffisent plus», explique Hadizatou, plus prompte que les deux autres à répondre aux questions.

Le sable et les gravillons ainsi extraits sont vendus à des acheteurs juchés sur des motos tricycles. «Au début, le chargement de tricycle était vendu à 3 000F CFA. Mais vu les difficultés d’accès aux zones d’exploitation, ce chargement est passé à 4 000F CFA», révèle Haoua, les mains à la hanche, sans doute éreintée. Petit cure-dent dans la bouche et les mains plongées dans un tas de gravillons, Hadizatou regrette que les clients se fassent de plus en plus rares. «Ils peuvent mettre trois semaines, voire un mois, sans passer pour acheter», affirme-t-elle.

Le matériel de travail des femmes battantes

Pourtant, à en croire les trois femmes, c’est au prix de brimades, parfois de menaces, qu’elles parviennent à obtenir la matière pour la proposer aux acheteurs. Elles témoignent avoir été «chassées» des terrains par leurs propriétaires. «Nous savons que ce que nous faisons comme activité sur ces terrains n’est pas une bonne chose, mais nous n’avons pas d’autre choix, pour vivre et offrir de quoi manger à nos enfants», se défendent-elles. «La situation est difficile. On se bat, ce n’est pas vraiment pour nous que nous le faisons, c’est pour nos enfants», soutiennent-elles.

«Le 8-Mars, connais pas!»

Hadizatou, Adjara et Haoua opèrent dans les alentours de leur site où elles sont basées avec plusieurs autres femmes. Devant ce qui est leur maison, se trouve un hangar où sont disposés des bancs et des nattes et où tout le groupe de déplacés internes se rassemble pour se reposer. Les enfants, eux, sont assis à même le sol. Une mosquée est également érigée au milieu de ce grand espace pour permettre à ceux qu’on désigne par les trois lettres tristes de PDI (Personnes déplacées internes). Des femmes, toutes portant des voiles, accompagnaient les enfants. Certaines d’entre elles allaitaient leurs bébés. Oumarou Sawadogo, qui dit être l’un des chefs de ces femmes sur le site, observe toutes les allées et venues. Si des femmes, à l’image de Hadizatou, Adjara et Haoua exploitent le sable et les gravillons, d’autres s’adonnent à la lessive pour gagner de l’argent et avoir de quoi subvenir à leurs besoins au quotidien.

A la veille de la Journée internationale des droits des femmes, ces déplacées internes disent ne pas du tout avoir la tête à la fête. «Nous ne connaissons pas de fête du 8-Mars. Nous peinons à manger et c’est cela qui nous préoccupe le plus», laisse entendre l’une des femmes, le regard perdu dans le vide. «Nous n’avons pas de travail, ni d’argent et donc pas de fête», ajoute-t-elle. Elle plaide, par ailleurs, pour que l’Etat ou toute autre bonne volonté les aide à avoir du travail, et, ainsi, elles vont se «débrouiller sans forcément attendre quelque chose des autres».

M Sawadogo avec des femmes déplacées

Selon ces femmes, des ONG et associations sont venues les former dans des métiers tels que la fabrication de savon, le carrelage, l’élevage. Une initiative qui leur a permis de fabriquer du savon et faire de l’élevage de poules. Mais elles disent ne pas pouvoir écouler leurs produits et se plaignent de la morosité du marché.

Selon Oumarou Sawadogo, ce sont 1 382 personnes déplacées internes qui sont installées sur le site de Pazani. Parmi elles, des femmes, veuves pour la plupart, dont les époux ont été tués pour la plupart dans des attaques terroristes ont quitté la localité de Silgadji située dans le département de Tongomayel, province du Soum, région du Sahel, à cause de l’insécurité. Avant ce phénomène, «nous pratiquions l’élevage et l’agriculture, nous vivions bien sans difficultés. Mais nous avons été contraints de fuir, de tout abandonner derrière nous, bétail et tout autre bien, on n’a pu rien emporter avec nous», affirment-elles, amers.

Le phénomène de l’insécurité au Burkina Faso a provoqué une grave crise sécuritaire et humanitaire ayant entraîné plus de deux millions de déplacés internes, selon les chiffres officiels.

Par Siaka CISSE