Accueil L'ENTRETIEN Attaques armées: des armes provenant «de stocks libyens retrouvées» en Europe (cadre ONU)

Attaques armées: des armes provenant «de stocks libyens retrouvées» en Europe (cadre ONU)

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Anselme Yaburi, Directeur de UNREC

Le directeur du Centre régional des Nations unies pour la paix et le désarmement en Afrique en abrégé UNREC, Anselme Yaburi, a déclaré dans un entretien accordé à Wakat Séra que des groupes terroristes « utilisent des armes provenant des stocks libyens », pays en proie à une crise politique depuis 2011, pour perpétrer des attaques armées en Europe.

Présentez votre structure UNREC à nos lecteurs ?

Cela fait un an que je dirige cette structure qui existe depuis 1986. Ce centre régional est la présence africaine du bureau pour les affaires de désarmement des Nations unies. Il a été créé en 1986 par une résolution de l’assemblée générale des Nations unies à la suite d’une demande formulée par l’Organisation de l’unité africaine aujourd’hui connue sous le nom de l’Union africaine (UA). Depuis 1986, nous assistons les Etats africains et cela en quatre étapes pour mettre en œuvre les initiatives de paix et sécurité et du contrôle des armes et des armées. Nous sommes un des centres régionaux des Nations unies qui s’occupe de la question et nous couvrons l’Afrique en la matière. Il y a un centre qui couvre l’Amérique latine et les Caraïbes basé à Lima au Pérou tandis que nous, nous sommes basés à Lomé au Togo. Il y a un autre centre à Katmandou au Népal qui couvre l’Asie et le Pacific et il existe un bureau de liaison pour l’Europe basé à Vienne et autre spécifiquement basé à Genève qui suit la conférence sur le désarmement. Le bureau de Genève comprend différents Etats membres des Nations unies qui se réunissent périodiquement pour examiner les questions de désarmement.

Pouvez-vous revenir sur les raisons de l’atelier que UNREC a organisé les 28 et 29 août dernier à Ouagadougou ? Quels sont les résultats attendus ?

Les raisons de cet atelier sont relativement simples. Vous savez que depuis quelques années nous assistons à une montée de tension sécuritaire dans le monde entier notamment en Afrique, particulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Jusque dans les années 1990, les tensions étaient vécues entre Etats et les conflits étaient souvent le fait des Etats sur la base d’antagonisme idéologique. De plus en plus aujourd’hui, l’insécurité est générée par des groupes non étatiques notamment les groupes criminels et les groupes terroristes. Les Nations unies et les Etats membres ont fait un effort pour mieux réguler le trafic international des armes. Ce qui fait qu’il est quand même plus difficile pour les groupes non étatiques de s’approvisionner en armes auprès des fabricants établis.

Alors qu’est-ce qu’ils font maintenant, ils s’approvisionnent à travers des détournements des stocks d’armes et de munitions qui ont été acquis légalement par certains Etats. Lorsque ces groupes sentent qu’il y a de la faiblesse dans la surveillance, ils s’emparent soit de façon violente ou à travers des faits de corruptions là où les Etats sont faibles. Ils détournement ainsi les stocks gouvernementaux et les utilisent à travers des groupes terroristes avec qui ils collaborent de plus en plus pour les approvisionner afin qu’ils mettent à mal la sécurité des Etats et de leurs citoyens. D’où l’importance de travailler à mieux sécuriser les armes et les munitions détenues par les Etats notamment en Afrique, afin de minimiser les risques de détournement, et donc réduire la capacité de nuisance des groupes criminels et groupes terroristes.

Point besoin de revenir sur la crise libyenne qui depuis 2011 a libéré des quantités considérables d’armes et de munitions qui avaient été préalablement acquises tout à fait légalement par l’Etat libyen. Et ce n’est pas la seule source puisqu’il y a des armes d’autres Etats aussi qui tombent dans la main des groupes non étatiques. Mais certaines des armes provenant des stocks libyens se sont retrouvées en Europe et les groupes terroristes ont essayé de les utiliser pour perpétrer des attentats.

Voilà pourquoi nous collaborons avec le secrétariat permanent de de la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères (CNLPAL) au Burkina Faso que nous réunissons ici avec les commissions et les représentants des six autres  pays du Sahel qui bénéficient d’un projet des Nations unies appuyées par l’Union européenne en la matière. Il s’agit de la Mauritanie, du Burkina, du Mali, du Niger, du Tchad et Nigeria. A ces pays se sont ajoutés le Togo, la Côte d’Ivoire et le Madagascar qui viennent partager leurs expériences en matière de sécurisation des armes légères et de petits calibres. Et donc il est question d’examiner les solutions déjà mises en œuvre et d’explorer de nouvelles solutions également qui peuvent toujours contribuer à améliorer la sécurisation de ces armées et réduire leurs risques de détournements par les groupes terroristes et criminels.

Quelles sont les stratégies mises en place par l’ONU pour empêcher les détournements des armes des stocks gouvernementaux au profit des groupes non étatiques comme ceux terroristes ?

Comme je l’ai souligné tantôt, nous venons assister les Etats membres à leur demande. Donc ce n’est pas nous qui mettons en œuvre les stratégies. C’est aux Etats membres de dire exactement ce qu’ils veulent, ce qu’ils souhaitent, et donc nous les appuyons pour développer les solutions qu’ils estiment appropriées. Ce que UNREC fait en plus, c’est de les encourager à passer en revue régulièrement les mesures de sécurisations de leurs armes et munitions et explorer de nouvelles solutions qui existent. Nous apportons notre appui qui peut-être financier ou technique ou même également ça peut être la mise à disposition d’experts sur le plan juridique pour mettre en conformité parfois le cadre juridique national. Il faut aussi souligner qu’il existe un certain nombre d’instruments au niveau international avec des standards en matière de gestion des armes et des munitions et nous appuyons les Etats membres qui le souhaitent.

Et cela suppose la mise à dispositions d’experts, l’appui pour des organisations d’atelier avec les députés qui sont chargés de retoiletter les textes législatifs en collaboration avec les Forces de défense et de sécurité (FDS).

Quelle est la différence entre contrôle des armes et désarmement ?

Ce sont deux notions qui sont complémentaires mais effectivement distinctes. Le contrôle des armes entre dans le cadre des armes qui sont détenues par les forces légitimes de défense et de sécurité d’un Etat. Les Nations unies reconnaissent à leurs Etats membres le droit à l’autodéfense, le droit de défendre les institutions et de défendre les citoyens. Et pour ce faire le droit d’acquérir les équipements dont ils ont besoin à cet effet. Cependant les Etats unies encouragent fortement les Etats à assurer un contrôle strict de ces armes pour s’assurer qu’elles restent strictement entre les mains des forces de défense et de sécurité pour éviter qu’elles finissent entre les mains des criminels et des terroristes. Donc c’est ça l’aspect contrôle des armes qui sont légalement entre les mains des FDS pour s’assurer que seules, elles, les utilisent pour protéger les institutions de l’Etat et protéger les citoyens à travers les forces armées dans un cas, et les forces de police et autres forces connexes dans un autre cas.

Le désarmement par contre c’est encourager les Etats membres par des mesures de confiance ou arriver à un certain moment à encourager les Etats et les sensibiliser pour leur dire, certes vous avez le droit de vous défendre mais est-ce qu’on a besoin de dépenser autant d’argent pour s’armer et s’équiper pour la sécurisation de la population alors qu’il y a aussi d’autres besoins qui sont urgents. Ou bien, peut être que certains types d’armes que vous avez, vous les avez en quantité excessive et il faut penser à les réduire. Certains Etats détiennent par exemple des milliers de tête d’armes nucléaire. A un moment donné ça devient un facteur d’insécurité et donc périodiquement à travers la conférence des gouvernements à Genève, on sensibilise les Etats à réduire leurs arsenaux, à les ramener à un niveau raisonnable avec l’espoir qu’à long terme, les Etats seront stables au point qu’ils n’auront plus besoin d’avoir recours à des armes.

Donc cela vous montre un peu la différence qu’il y a entre contrôle des armes d’une part que les Etats membres ont le droit d’acquérir et le désarmement qui est la réduction des arsenaux afin d’assurer une meilleure sécurité collective.

Qu’est-ce qui justifie le nouvel agenda du secrétaire général des Nations unies sur le désarmement ?

Un nouvel agenda du secrétariat général des Nations unies (Antonio Guterres) parce que voyez-vous, le monde est en train de changer. Jusque dans les années 1990, nous étions pris dans la tourmente de la guerre froide, avec l’affrontement du bloc de l’Est et de l’Ouest, le bloc occidental. Et le résultat, cet épisode a pris fin avec la chute du mur de Berlin et jusque-là les tensions et les risques de conflits étaient essentiellement liés aux Etats eux-mêmes. Donc cela mettait en scène les Etats eux-mêmes et les acteurs non étatiques étaient peu présents sur la scène des conflits.

Aujourd’hui les choses ont évolué et les sources principales d’insécurité sont beaucoup plus en train d’être transférées des Etats vers les acteurs non étatiques notamment les groupes criminels et les groupes terroristes qui atteignent des niveaux de sophistication sans égal dû notamment au développement des nouvelles technologies aussi bien sur le plan informatique que sur le plan des réseaux sociaux. Justement aujourd’hui avec l’essor de l’internet, ces groupes terroristes avec ces technologies et ces savoir-faire qu’ils diffusent facilement portent atteinte à la sécurité.

Le résultat c’est qu’il faut adapter également la réponse des Etats et la réponse des Nations unies à ces changements de la dynamique des conflits. A partir du moment où le problème change de nature la réponse aussi doit évoluer. Et c’est la raison pour laquelle le secrétaire général vient avec son nouvel agenda qui met l’accent sur trois piliers.

Le premier pilier c’est le désarmement pour sauver l’humanité qui consiste à travailler sur toutes les questions d’arme de destruction massive que sont les armes nucléaires, biologiques et chimiques. L’Afrique n’est pas à l’abri parce que certains pays africains produisent des matières qui rentrent dans la composition des armes nucléaires. L’Afrique a été également le théâtre d’un certain nombre de catastrophe comme la crise d’Ebola et parfois la frontière peut être mince entre un désastre naturel, une crise humanitaire et l’utilisation mal intentionnelle qui peut en être fait et donc en faire une arme de destruction massive.

Le deuxième pilier de cet agenda, c’est le désarmement qui sauve des vies, donc toutes les actions qui concernent la lutte contre la prolifération des armes légères et de petits calibres qui fait le plus de dégâts en Afrique. Dans ce cadre-là il est question notamment d’améliorer la synergie d’actions entre les différentes entités des Nations unies afin de mieux travailler ensemble pour assister les Etats membres et travailler à la réalisation des objectifs du développement durable notamment l’objectif 16 qui concerne les questions de contrôle des flux d’armes.

Le troisième pilier c’est le désarmement qui préserve les générations futures. C’est-à-dire toutes les actions notamment l’éducation à la paix, les sensibilisations et les formations des jeunes afin qu’en grandissant ils aient moins de pensées et d’intention belliqueuse afin qu’ils soient plus enclin à  bâtir un monde où la coexistence pacifique serait beaucoup plus la norme.

Par Bernard BOUGOUM