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Burkina: Macron «vient témoigner de son amitié à un peuple libre et fier de son histoire»

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Le juriste Abdoul Karim Sango (Ph. netafrifrique.net)

Abdoul Karim Sango, juriste de son état, dans cet écrit, estime que le président français Emmanuel Macron, qui sera en visite à Ouagadougou à partir du 27 novembre prochain, « vient témoigner de son amitié à un peuple libre et fier de son histoire ».

Dans la vie des nations, certains évènements nous interpellent et  invitent à faire preuve d’un sens élevé de  sursaut patriotique. Je sais par avance que mon propos ne  plaira  pas forcément à une catégorie de citoyens burkinabè mais je n’ai pas pour habitude d’écrire pour plaire à des individus. Je me laisse guider exclusivement par le sens de l’intérêt général. Au-delà de nos intérêts égoïstes, l’intérêt de la patrie doit à tout moment être placé au-dessus de tout.

Dans quelques jours, nous recevrons un hôte de marque, le président français. Au-delà de tout ce qui nous oppose à nos gouvernants et à la France, au plan diplomatique ce voyage révèle un intérêt certain pour le Burkina. Ils sont nombreux,  les États africains qui nous envient et auraient voulu que ce choix soit porté sur eux. Combien parmi nous n’avions pas été jaloux de la présence d’Obama au Ghana en 2009? Pourquoi le Ghana et pas nous! Obama y  a prononcé un discours historique et mémorable devant le Parlement ghanéen avec cette phrase célèbre « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais plutôt d’institutions fortes». Cette phrase,  d’apparence anodine a bouleversé le cours de l’histoire dans plusieurs de nos Etats en renforçant  la détermination et la conviction de tous ceux qui croient que  la démocratie est  le pire des régimes politiques à l’exception des autres.   En Afrique, la tradition enseigne que celui qui vous rend visite à domicile vous porte en haute estime.

En conséquence, l’étranger est un roi! Dans nos débats où prévalent davantage les intérêts égoïstes, nous ne devons pas perdre de vue cet aspect de notre culture.  Notre pays assurément est l’un des plus démocratiques. Notre peuple a conquis chèrement la démocratie et la liberté. Le chemin vers la vraie démocratie si celle-ci existe quelque part  est encore long et parsemé de nombreuses embûches. Des progrès, certes timides,  ont été accomplis et exigent de la part de tous une veille citoyenne permanente.

Longtemps méprisé  sur ce continent en raison d’une prétendue faiblesse des ressources naturelles de son pays, le Burkinabè est aujourd’hui respecté partout sur le continent africain  où de nombreux peuples sont en esclavage malgré les ressources dont ils disposent. Sékou Touré n’avait –il pas dit: «Je préfère la pauvreté dans la liberté que l’opulence dans l’esclavage»?

Pour une nation qui a fait une révolution ayant marqué l’histoire du monde en 1789, le président Macron ne pouvait qu’être séduit par notre insurrection populaire qui  a pris  place à côté des grandes révolutions du monde. Ce «jeune»  président vient témoigner de son amitié à un peuple libre et fier de son histoire. On ne choisit pas ses amis au hasard, l’amitié ce sont d’abord et surtout des valeurs partagées. Notre pays partage avec la France des valeurs telles que la démocratie, l’Etat de droit, la liberté et l’égalité…

Au lieu d’aller  s’exprimer devant le  Parlement comme c’est de tradition, Macron a choisi l’Université pour démontrer que seule la science peut nous conduire au vrai progrès économique, social, culturel et politique. C’est un honneur qui est fait à nos étudiants qui chaque jour se battent dans cet environnement d’austérité. Ce fait constitue  une grande leçon à nos gouvernants pour lesquels l’Université est très souvent le dernier  souci et le lieu de la contestation stérile. Or, une université où l’on ne conteste pas doit plutôt inquiéter!  Où exercer la pensée critique par excellence si ce n’est à l’Université. C’est par la pensée critique que les grandes nations ont pu progresser.

Macron est un Français et défenseur des intérêts de son peuple, mais comme beaucoup de jeunes africains, il n’a pas connu la colonisation et la néo colonisation. Il n’a pas été acteur de cela, pourquoi voudrions-nous-lui faire porter la responsabilité de tout cela? Comme si le fils devrait toujours répondre des actes moralement condamnables posés par le père. Du reste, lors de sa campagne, il s’était exprimé clairement sur  ce sujet en condamnant la colonisation.  

Macron est très certainement un pur produit de la mondialisation libérable dont il défend les valeurs au regard de son parcours professionnel. Mais nous devons clairement lui dire droit dans les yeux que cette mondialisation libérable a une dimension perverse dont les ravages se  ressentent même en occident. La question climatique et migratoire nous confortent dans l’idée que la mondialisation n’a pas d’avenir sauf à vouloir détruire ce monde.  Les indignés et les altermondialistes sont des concepts nés en occident avant que les   africains se l’approprient à leur tour. 

En ami, nous devons dire à Macron qu’il est désormais temps que les  ressources africaines profitent d’abord à nos peuples. Mais évidemment, sur cette question,  il y a une double responsabilité. La première concerne les élites politiques africaines qui pillent les ressources de l’État au lieu de développer des infrastructures publiques  de  bonne qualité.  Par exemple,  ce serait bien que la France n’accepte plus le transfert des gouvernants et les membres de  leurs familles qui tombent malade dans les hôpitaux français. Ça les pousserait à investir pour des soins de qualité dans nos États.

Les multinationales françaises devraient respecter davantage les normes internationales et nationales en matière de lutte contre la corruption. Elles ont assez pillé nos ressources avec la complicité des gouvernants. Les groupes français devraient se garder de collusion en affaire avec les dirigeants africains sinon les peuples africains les tiendront responsables de leur misère. C’est à cette seule condition que le business se fera dans l’intérêt des peuples.

Macron devrait nous rassurer sur les efforts que son gouvernement  entend faire pour contribuer à la manifestation de la vérité sur des crimes comme celui du père de la révolution burkinabè, icône de la jeunesse africaine et mondiale ou sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et ses compagnons. Les sujets ne devraient pas manquer pour jeter les bases d’un nouveau partenariat fondé sur la  démocratie, la sécurité,  le développement économique et l’emploi des jeunes en particulier. Pour toutes ces raisons, j’invite la jeunesse à réserver un accueil chaleureux et digne au président Macron et à sa délégation sans aucun complexe.

Abdoul Karim SANGO

Juriste, enseignant de droit public à l’ENAM