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Me Christophe Birba: aucun Burkinabè «ne souhaite voir son pays traité d’Etat voyou»

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Me Christophe Birba (Ph. Wakat Séra)

Maître Christophe Birba, est avocat associé au sein d’une société d’avocats en constitution, la SCPA LEX AMA, sise avenue des Arts. Inscrit au Barreau du Burkina Faso, il a bien voulu échanger avec Wakat Séra sur les deux avis émis par le Groupe de Travail des Nations Unies sur la détention de Djibrill Bassolé dont les experts onusiens demandent «la libération immédiate». Il faut le dire de go, Me Birba fait partie de ces «millions de jeunes qui ont victorieusement résisté au putsch de septembre 2015».

Wakatséra.com: Quelle lecture faites-vous des avis émis sur le cas Djibrill Bassolé par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire?

Me Christophe Birba: Avant toute chose je voudrais faire deux observations importantes. D’une part je ne suis pas l’avocat du Général Bassolé. Donc ne me demandez pas de vous répondre sur des problématiques liées aux écoutes téléphoniques. En tous les cas, je n’aurais pas eu de réponse à ce sujet même si j’étais son conseil en raison de la confidentialité qui doit entourer le dossier toujours en instruction.

D’autre part, je suis l’un de ces millions de jeunes qui ont victorieusement résisté au putsch de septembre 2015. J’ai particulièrement risqué ma vie le 20 septembre 2015 à l’Hôtel Laïco). Pour la petite histoire, j’ai eu la vie sauve grâce à la vigilance de Monsieur Timbi Pascal Kaboré, l’actuel maire de la commune de Soaw, qui m’a soustrait des mains des manifestants pro CND (Conseil national pour la démocratie, NDLR) le 20 septembre devant Laïco). Mon confrère et grand frère Maître BENAO Batibié a perdu son chapeau le même jour lorsqu’il s’était réfugié dans le champ de maïs qui était juste à côté (rires).

Je n’ai donc aucun sentiment d’amitié ni de haine en faveur ou contre Monsieur Bassolé, soupçonné d’avoir pactisé avec les putschistes. J’émets ici un avis scientifique, peut-être technique, mais en tous cas purgé des passions qui entourent cette cause.

Nous revenons donc à notre préoccupation. Les experts du groupe de l’ONU sur la détention arbitraire viennent d’émettre un deuxième avis, demandant la libération immédiate de Djibril Bassolé. Que pensez-vous de cette démarche?

Cette démarche est la suite logique du premier avis, celui de juin 2017. Suite à une nouvelle saisine et à l’examen de la plainte, le Groupe estime que la situation de détention arbitraire de Monsieur Bassolé n’a pas changée nonobstant sa résidence surveillée. C’est aussi mon avis. J’estime que Monsieur Bassolé a quitté une prison de haute surveillance pour intégrer une autre de surveillance plus accrue.

Vous qui en savez un bout sur le sujet, comment le groupe  procède-t-il pour prendre ses décisions?

C’est un véritable procès. Chacune des parties à la procédure présente ses prétentions qu’elle soutient par des arguments de fait et/ ou de droit et le Groupe de Travail tranche comme le ferait exactement le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou. Ce sont les mêmes méthodes et les mêmes exigences de contradictoire, de procès équitable. Vous aurez remarqué que l’Etat du Burkina Faso se plaint de violation de procès équitable à son égard.

La seule différence c’est que l’avis du Groupe n’a pas la force exécutoire que possède la décision du Juge. Les experts formulent des recommandations s’ils estiment que la détention est arbitraire. Si au contraire, ils trouvent que la plainte n’est pas pertinente, ils la déclarent mal fondée.

Le gouvernement burkinabè a-t-il été associé à toutes les étapes de la procédure qui a conduit à cette demande de libération immédiate?

Bien sûr. L’Etat du Burkina Faso était bel et bien partie à la procédure qui a donné naissance à l’avis des Experts sur le cas Bassolé. Il ressort à la page 5 de l’avis que le 22 décembre 2016, il a été notifié à l’Etat du Burkina Faso, le recours qui comporte les griefs articulés contre le Burkina. Et, notre pays avait jusqu’au 21 février 2017 pour présenter sa défense. Les experts rapportent que le 20 février, le Burkina a demandé un délai supplémentaire de 30 jours pour apprêter sa défense. Et, c’est le 10 Mars 2017 que le mémoire en défense de l’Etat est parvenu aux experts qui ont confronté les moyens de défense de l’Etat aux griefs formulés par les avocats de Monsieur Bassolé pour rendre une décision assortie des recommandations que vous connaissez.

S’il en est ainsi, pourquoi le Burkina Faso se hâte-t-il lentement pour reconnaitre les conclusions des experts de l’ONU?

(Rires). C’est le comportement naturel de tout mauvais perdant à un procès surtout entouré d’une certaine passion. Le Burkina Faso a défendu la thèse opposée de celle adoptée par les experts onusiens. Tant qu’il n’y a pas de contrainte contre l’Etat du Burkina, il ne fera rien pour exécuter l’avis car l’avis lui-même n’a pas de force contraignante hormis la pression morale et diplomatique qu’il peut comporter.

J’estime à travers les décisions qu’il appartient à la justice burkinabè, dans le cadre d’un dialogue de juges, de donner plein effet à cet avis qu’elle rend. Peut-être que la liberté provisoire de Monsieur Bassolé était une belle tentative.

Ce n’est pas une faiblesse que de reconnaître que l’avis est rigoureusement motivé. L’Etat burkinabè s’accroche au fait qu’en vertu de la loi nationale, notamment le code de justice militaire, ensemble son modificatif, Monsieur Bassolé est justiciable du tribunal militaire. Ce n’est pas faux, mais c’est précisément le reproche qui nous est fait.

En effet, aux termes des instruments juridiques internationaux qu’appliquent les experts, l’indépendance est au juge ce que l’obéissance est au militaire. Il semble que c’est un problème culturel. Pendant que le juge est formé pour être indépendant, la formation du militaire fait de lui un obéissant, ce n’est pas péjoratif. Il est établi que l’armée est faite de commandement et donc d’obéissance. L’obéissance est donc une qualité chez le militaire, ce qui est tout le contraire de ce qui est attendu d’un juge.

C’est cette idée qui est proclamée pertinemment par la quatrième ligne directrice des principes des bases des Nations Unies, précisément au paragraphe 55  qui prévoit que: «Les juges et procureurs militaires ne satisfont pas aux critères fondamentaux d’indépendance et d’impartialité».

L’ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibrill Bassolé (Ph. rfi.fr)

Heureusement que ce n’est pas moi qui le dis. Donc, pour les Nations Unies, toute décision de privation de liberté qui émanerait d’un militaire est nécessairement arbitraire dans la mesure où elle est édictée par un organe intrinsèquement dépendant et prêt à recevoir des ordres. Et, comme Monsieur Bassolé est privé de sa liberté en vertu d’un mandat de dépôt émis par un juge d’instruction militaire, les experts ont tiré la conclusion que vous connaissez. Au lieu de répondre à cette argumentation, le Gouvernement s’évertue à justifier la compétence du tribunal militaire en invoquant sa loi nationale. Soit le Gouvernement n’a pas compris son dossier, soit il fait semblant. Peut-être que dans la pratique le juge militaire burkinabè est farouchement indépendant. Mais c’est ça qu’il faut prouver aux experts. La méthode de travail est très simple: «Lorsque la source (terme désignant le plaignant) établit une présomption de violation des règles internationales constitutive de détention arbitraire, la charge de la preuve incombe au gouvernement lorsque celui-ci décide de contester les allégations» (A/HRC/19/57 page 68)

Quelles conséquences pourraient entrainer cette attitude des autorités burkinabè?

C’est une attitude qui peut compromettre le déroulement même des politiques publiques comme le PNDES (Plan national de développement économique et social, NDLR). Elle déteint sur la respectabilité de notre nation. Personne ne souhaite voir son pays traité d’Etat voyou. Or, un Etat irrespectueux des droits de l’Homme est un Etat de persécution et donc non civilisé. Lorsque nous avons fait l’insurrection populaire et résisté vigoureusement au putsch, nous étions applaudis de toutes parts. Nous étions tous fiers d’afficher notre nationalité. C’est précisément cette image qui est en train d’être écornée.

On constate que le communiqué en ce qui concerne le second avis du groupe a été produit par les services de l’ONU, en l’occurrence le Centre d’Information des Nations. Quel est la lecture qu’il faut en faire?

Je ne pense pas qu’il sied d’en faire une lecture particulière. Que le communiqué émane du Groupe ou du Service d’Information des Nations Unies, il conserve les mêmes forces et les mêmes limites. Ce sont des organes de l’ONU.

De qui est actuellement prisonnier Djibrill Bassolé, quand on sait qu’il bénéficie d’une liberté provisoire que lui a accordée la justice?

Dans ce dossier le juge a malheureusement présenté des signes d’une justice aux ordres. Elle n’a pas offert le sentiment qu’elle était indépendante. Je regrette  d’avoir le sentiment que le juge s’avoue vaincu. La Chambre de Contrôle du Tribunal Militaire a rendu, le 10 Octobre 2017, un arrêt par lequel elle ordonne la liberté provisoire de Monsieur Bassolé au motif, semble-t-il, qu’il est malade et qu’il doit se soigner à l’extérieur où le plateau technique serait mieux fourni. Le motif de la décision de liberté provisoire, si on s’en tient à ce qui est rapporté par la presse, est précis: il doit aller se soigner. Il n’y a pas eu non plus, de rapport contraire à ceux de son médecin traitant, d’où il résulte que le Monsieur est malade. Physiquement même il affiche les signes de quelqu’un qui ne se sent pas bien. Donc tous les acteurs semblent s’accorder sur ce point. Mais dix heures chrono plus tard, on annonce une autre décision qui vide la précédente de tout son sens. Qu’est ce qui s’est passé entre ces deux audiences? Surtout quand on sait, et aucun juriste ne discute honnêtement ça, que le dispositif législatif ne permet pas d’assigner en résidence surveillée en raison de l’absence totale de décret d’application de l’article 100 du code de justice militaire. Vous voudrez bien m’excuser mais ma conviction est établie que dans ce dossier, il y a longtemps qu’on est parfaitement installé dans la jungle.

Cette attitude de l’exécutif s’apparente à la violation d’une décision du juge non?

Un juge ça s’assume. Ça ne se dédit pas sans justification. Lorsqu’un juge le fait, le pouvoir trouve là un boulevard pour la violation de tout. Je dis bien tout! Je vais vous parler franchement. Il y aura un temps où on va se demander s’il y a vraiment des juristes dans ce pays. Feu Norbert Zongo les avait caricaturés avec justesse: «Leur problème c’est de n’avoir pas de problème».

A quand le procès quand on sait que les accusés, pour certains, totalisent déjà plus de deux ans de détention?

J’avoue qu’il n’y a que le Procureur militaire et la Chambre de Contrôle qui peuvent répondre à cette question. Néanmoins, Vous savez, contrairement aux politiciens qui se plaignent çà et là, moi j’estime qu’il n’y a aucun retard imputable à X ou à Y. Le dossier est suffisamment complexe, au regard même du nombre d’inculpés qu’il faut auditionner, interroger, confronter. Au regard aussi de la qualité des personnes en cause, il faut aussi l’avouer. Au regard surtout des multiples incidents qui ont émaillés l’instruction: expertises, contre-expertises, voies de recours, annulation de mandats d’arrêts internationaux, annonce de leur reprise qui n’est jamais intervenue jusqu’à la clôture du dossier par le premier juge d’instruction. Je conviens aussi que deux ans de détention pour quelqu’un qui est présumé innocent et qui, convaincu de son innocence est pressé de la démontrer devant son juge, deux ans c’est beaucoup et l’impatience devient, honnêtement légitime. Il faut donc concilier plusieurs impératifs.

Par Wakat Séra