Accueil A la une Mohamed Bazoum: «Qu’on cesse d’associer le nom du Niger au terrorisme»

Mohamed Bazoum: «Qu’on cesse d’associer le nom du Niger au terrorisme»

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Mohamed Bazoum, le candidat du PNDS à la présidentielle nigérienne de décembre 2020 (Ph. d'archives)

Le bâtiment à niveau fait sans doute partie des endroits les plus sécurisés de l’administration nigérienne, car abritant plusieurs ministères névralgiques, et pour y accéder, il faut montrer patte blanche. C’est là que j’avais rendez-vous, avec le ministre en charge de l’Intérieur, ce mardi 9 juillet 2019. Comme moi, mon confrère de Sidwaya avec qui j’étais, a, sans aucun doute été émerveillé par la simplicité du maître des lieux. Pourtant, Mohamed Bazoum, puisqu’il faut le nommer, est considéré comme le numéro 2 du régime, après celui dont il parle avec beaucoup de déférence, le président de la République du Niger. Du reste, pour la prochaine élection présidentielle, l’alter égo de Mahamadou Issoufou, le chef de l’Etat nigérien, est le candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS Tarayya, pouvoir) dont il est déjà le président. C’est encore plongé dans les dossiers de la Conférence des chefs de l’Etat de l’Union africaine que le Niger a abritée avec réussite du 4 au 8 juillet, que Mohamed Bazoum, recevait ses visiteurs. La situation sécuritaire de la sous-région, le choix de sa personne pour défendre les couleurs du PNDS à la présidentielle de 2020, et la loi controversée sur le financement des associations religieuses, ont constitué les principales articulations de cet entretien que l’ancien ministre nigérien des Affaires étrangères et actuel patron du département de l’Intérieur, a bien voulu nous accorder.

Wakat Séra: Comment se sent aujourd’hui (entretien réalisé le 9 juillet) un ministre de l’Intérieur après la tenue d’un sommet de grande envergure comme celui de la conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine qui a rassemblé plus de 4 000 invités?

Mohamed Bazoum: Je me sens vraiment soulagé. Nous avons eu beaucoup d’appréhension au départ. Nous louons Dieu d’avoir fait en sorte que tout se soit merveilleusement bien passé. Nous avons mobilisé beaucoup de moyens et de forces. 12 000 personnes ont assuré la sécurité dans la ville de Niamey et ses alentours. Nous avons mis un dispositif concentrique autour de la ville et cela a donné ces résultats. Nous avons aussi eu la baraka (bénédiction, NDLR) de Dieu. Nous savons que ce n’est pas parce que nous avons déployé tant de forces que nous avons ce résultat. Il y a aussi une part de chance.

Vous êtes candidat de votre parti à la présidentielle et membre du gouvernement. Comment arrivez-vous à concilier ces deux positions assez délicates?

Il est vrai que je suis candidat mais nous ne sommes pas en campagne électorale. Nous sommes loin d’y être. Comme vous pouvez le savoir éventuellement, l’agenda qui aura voulu que ma candidature soit déclarée en 2019, est un agenda qui nous a été imposé par le débat qui avait été enclenché sur les candidatures très tôt. Sinon, notre agenda normal prévoyait que nous investissions notre candidat à la fin du mois de mars de l’année 2020. Nous avons dû avancer ces dates d’une année malheureusement. Mais nous ne changeons rien dans la façon dont la personne désignée candidate à la présidence de la République doit se comporter. C’est-à-dire que je ne suis pas en train de faire campagne au-delà de ce que j’aurais eu à faire, être président du parti tout simplement. Tout ce que je fais pour le parti, je l’aurais fait même si je n’avais pas été déclaré candidat. Le moment de la campagne viendra et en ce moment, nous allons faire les choses telles qu’elles seront définies par les exigences de la campagne.

Le choix porté sur vous ne pouvait surprendre, selon certains, car vous êtes le fidèle des fidèles du président Issoufou…

J’ai toujours été le numéro deux de notre parti. A la base, notre parti était constitué de deux groupes clandestins animés l’un par le président Issoufou et l’autre par moi-même. C’est cette idée que nous avons toujours conservée dans notre relation. Le président Issoufou et moi, en particulier lui, n’avons jamais oublié que c’est une rencontre que nous avons eue au mois d’août 1990 qui a présidé à la décision de mettre en place le parti que nous avons appelé le PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme-Tarayya, NDLR).

«…nous sommes allés au congrès le 31 mars 2019 et c’est à l’unanimité des sections de notre parti que le choix s’est porté sur moi et depuis lors, on n’a jamais entendu une critique formulée contre cette décision au sein de nos structures, même de façon marginale» (Ph. Sidwaya)

Il était le n°1 et moi le n°2 et ce jusqu’à ce qu’il devienne président de la République et moi président du parti. Dans l’esprit du président Issoufou tout comme lorsqu’il était président du parti, il avait été notre candidat, il considère que je suis le candidat naturel du parti à partir du moment où j’en suis le président. C’est le raisonnement qu’il a fait et qui est largement partagé par la base de notre parti. Nous sommes un parti qui a su conserver son unité, sa cohésion pendant les 27 années de son existence, parce que nos relations interpersonnelles étaient régies par un certain nombre de valeurs et de principes, notamment le respect, la confiance mutuelle et la loyauté. Voilà pourquoi pour un parti comme celui-ci, des choix de ce genre sur des questions à enjeu important peuvent s’opérer facilement parce qu’on se réfère à des valeurs.

Votre candidature a donc été plus ou moins imposée! Peut-on parler de consensus au niveau du parti?    

Oui! Certainement, puisque nous sommes allés au congrès le 31 mars 2019 et c’est à l’unanimité des sections de notre parti que le choix s’est porté sur moi et depuis lors, on n’a jamais entendu une critique formulée contre cette décision au sein de nos structures, même de façon marginale. Donc à partir de ce moment, je déduis que c’est un choix qui est assumé par les militants de notre parti.

Vous avez récemment porté une loi controversée sur le financement des associations religieuses. Auriez-vous porté cette loi en tant que candidat à la présidentielle?

Je suis ministre en charge du culte. J’ai constaté à mon arrivée dans ce ministère que nous n’avons aucun texte de référence qu’il soit du niveau législatif ou règlementaire de nature à permettre un véritable encadrement de la pratique du culte. Lorsque vous voulez construire une mosquée aujourd’hui, vous ne savez pas comment vous y prendre. Il n’y a pas de textes qui régissent la pratique des prêches sur les ondes de radio, sur les chaines de télévisions, à travers les réseaux sociaux. Il y a une anarchie totale, une absence de norme qui fait que même ceux qui pratiquent les différents cultes peuvent être mal à l’aise. Tantôt c’est le maire qui autorise la construction d’une mosquée, tantôt c’est un chef traditionnel ou d’autres personnes. Cela est valable aussi pour les églises. Nous avons parfois plusieurs mosquées dans un même endroit, parfois des mosquées de vendredi qui ne sont pas à des distances normales alors que vous pouvez avoir des imams d’obédiences religieuses un peu en contradiction. Les écoles coraniques sont aussi construites et gérées de façon anarchique. Nous nous sommes dit qu’il faut mettre à l’aise les acteurs, de façon qu’ils sachent désormais tout ce qu’ils peuvent faire et comment s’y prendre. De toute façon, si on ne réglementait pas, on courait le risque un jour de se retrouver au-devant de situations qui ne seraient plus contrôlables.

Avez-vous essayé de voir comment cette situation est gérée ailleurs?

J’ai envoyé des missions dans tous les pays qui nous ressemblent, notamment ceux du Maghreb et en Afrique au Sud du Sahara, pour savoir comment ils font. Est-ce que c’est le règne de l’anomie comme c’est le cas chez nous ou bien il y a un encadrement qui est fait. Nous avons découvert avec bonheur que dans bien de ces pays, il y a des règles qui encadrent les différents cultes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Ces règles sont aussi de nature à promouvoir la tolérance entre les religions et au sein des différentes religions. Nous avons alors convoqué un forum, puis un deuxième qui a rassemblé toutes les associations. C’est de façon interactive que nous avons défini les différents principes. Nous avons mis dans la loi, des principes qui se limitent à énoncer des règles et des principes simples liminaires qui prévoient des textes sous forme de décrets et d’arrêtés. Ces textes vont être conçus dans le cadre d’une démarche interactive et itérative avec ceux qui exercent ces religions sur le terrain et qui ont des responsabilités à des titres différents. C’est le produit de toutes ces concertations que nous avons mis dans cette loi. Elle a fait l’objet de discussion avec les associations religieuses qui ont apporté leurs amendements. Ce texte-là est élaboré dans ces conditions que nous avons présentées à l’Assemblée nationale.

D’où est venu le couac?

Il s’est trouvé que sur les 105 associations musulmanes, vers la fin, huit se sont démarquées du processus sous le prétexte que le domaine de la religion, du culte, ne devrait jamais être règlementé, surtout pour ce qui concerne l’islam. Pour elles, l’islam a déjà dit à l’homme ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire, ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas et donc tout projet d’encadrement de l’islam est une violation de l’esprit de l’Islam et un projet de substitution à la parole de Dieu. Certains individus de ces associations ont entrepris une campagne d’intoxication qui a induit un imam de Maradi (chef-lieu de région et située dans le sud du Niger, Maradi est la deuxième plus grande ville du pays, NDLR) en erreur. Celui-ci a, alors, fait un prêche un vendredi dans lequel il a dénoncé le fait que le gouvernement envisage d’instituer le mariage homosexuel et des choses qui n’ont absolument rien à voir avec la loi. Nous avons dû sévir contre ces gens-là. Je ne prends aucun risque lorsque je dois faire des choses qui concernent les religions. C’est toujours dans un cadre de concertation que nous agissons.

On ne peut donc rien reprocher à cette loi?

Il n’y a pas l’ombre d’un seul article au contenu douteux dans cette loi. Le risque pour un candidat est celui d’un citoyen. Il est égal à zéro. Tous les musulmans conviennent en effet que nous devons définir des règles qui doivent s’imposer à tous. J’ai dû expliquer devant l’Assemblée nationale que le phénomène de Boko Haram au Nigéria résulte d’un certain laisser-aller dans la façon dont le message de l’islam peut être porté par certains esprits qui le pervertissent totalement et ce n’est pas bien de ne pas mettre en place un minimum de dispositions de nature à nous éviter des perversions de ce genre. De même, leur ai-je expliqué, le phénomène de l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) que nous avons ici à nos frontières. Des gens qui disent qu’ils sont en train de faire le Djihâd, qu’ils agissent au nom d’Allah, pourtant ce sont des criminels de la pire espèce. Mais ils se prévalent de l’islam, ils se réclament de l’islam parce qu’ils ont une autre compréhension de l’islam, ce qui les amène à agir de la sorte.

«Il faut éviter ce type de compréhension de l’islam, il faut le prévenir et c’est le devoir de l’Etat de contrôler ce qui peut se dire dans les prêches dans les mosquées et dans les écoles coraniques» (Ph. Sidwaya)

Il faut éviter ce type de compréhension de l’islam, il faut le prévenir et c’est le devoir de l’Etat de contrôler ce qui peut se dire dans les prêches dans les mosquées et dans les écoles coraniques. Nous prévoyons que les ressources dont peuvent bénéficier les associations soient connues. Aujourd’hui, nous avons la loi 8406 de 1984 qui prévoit que toutes les associations, qu’elles soient religieuses ou pas, fassent un rapport de leurs ressources et la provenance de ces ressources. J’ai expliqué à ces associations que c’est une ordonnance, donc une loi que nous sommes tenus d’appliquer. Si nous ne l’appliquions pas, c’est parce que nous n’en n’avions pas senti la nécessité. Il n’y a pas de raison que maintenant que nous avons mis cette disposition de l’ordonnance de 84 dans la loi qui regroupe tous les textes qui sont un peu épars, nous ne l’appliquions pas. Nous n’inventons rien, le principe du contrôle de l’origine des ressources des associations existe déjà.

N’est-ce pas à cause du risque politique que certains pays ont laissé les choses en l’état, le fait religieux étant ce qu’il est?

Non, je pense qu’au Burkina Faso, la pratique des cultes est réglementée. Je pense que c’est pareil au Mali…

Dans les faits, elle est réglementée, mais la plupart du temps, les politiques ont peur de l’électorat qu’ils ne veulent pas frustrer…

Non, nous ne faisons pas ce genre de calcul. On aurait tort de le faire. Je ne pense pas qu’il y a des hommes politiques qui puissent se comporter de cette façon-là. Je vous ai dit que nous avons 105 associations. Elles ont été associées aux discussions et elles sont entièrement d’accord. Vous avez des marabouts qui prennent des enfants au Niger qui les amènent au Nigéria et ces enfants reviennent comme des monstres. Ils apprennent à fumer, à consommer du tramadol et d’autres drogues et deviennent des dealers. Nous avons expliqué que l’objectif de nos écoles coraniques qui est d’apprendre uniquement le coran n’a plus de sens aujourd’hui. Avant, les gens étudiaient dans les écoles coraniques pour n’apprendre que le coran. C’est le cas dans les milieux ruraux. Mais dans nos villes aujourd’hui, il faut apprendre aux enfants un métier et nous avons combiné les écoles coraniques avec les écoles professionnelles. Ce sont autant d’idées qui enchantent les professionnels de la religion. Nous sommes totalement en phase avec eux. Je l’ai fait en toute transparence.

Dans certains pays comme le Mali, pour ne pas le citer, des religieux influents ont pu contredire des hommes politiques dans le débat très délicat sur des questions religieuses.

Oui, mais justement, ce sont des situations qui ne sont pas concevables au Niger. Ici, nous avons affirmé dans notre Constitution le principe de la séparation de la religion de l’Etat et le caractère totalement apolitique des associations qui se réclament de la religion. C’est une ligne que nous ne permettrons à personne de franchir. Le statut des associations religieuses est traité par le ministère de l’Intérieur et c’est lui qui délivre les récépissés de reconnaissance et il n’y a pas une place pour elles de pouvoir prendre des positions politiques et dicter des règles à l’Etat ou au gouvernement. Ce n’est pas possible, et de ce point de vue, les pays africains sont différents les uns des autres.

Vous êtes un grand ami du Burkina Faso et on en a eu la preuve lors de la disparition de l’ancien président de l’Assemblée nationale burkinabè, Salifou Diallo qui était comme une courroie de transmission entre les deux Etats burkinabè et nigérien. Après cet événement malheureux, les deux pays, voire les deux partis au pouvoir, ont-ils gardé les meilleures relations comme dans le passé?

N’exagérons rien. Le Burkina et le Niger ne se résument pas aux visages de Salifou Diallo et de Bazoum, des présidents Mahamadou Issoufou et Roch Kaboré. Salifou était notre ami. Nous avons toujours été de bons amis et pour les gens du PNDS, du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ancien parti au pouvoir, NDLR) à l’époque et du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, pouvoir, NDLR) aujourd’hui, sa disparition, sur le plan affectif, émotionnel est quelque chose d’extrêmement dur, mais le président Roch Kaboré reste un grand ami du président Mahamadou Issoufou. Moi je suis un ami du président Kaboré et de tous les camarades du MPP, de Simon Compaoré, etc. La fidélité à la mémoire de Salifou commande que nous restions des amis et nous le sommes.

Qu’est ce qui peut encourager la fréquentation d‘un pays comme le Niger où tous les jours on parle de terrorisme?

C’est vrai que le Niger n’a pas beaucoup de chance aujourd’hui, car il se retrouve entre trois grands foyers d’instabilité en Afrique. Nous sommes voisin de la Libye où il n’y ni Etat, ni armée. Par conséquent, à la frontière de ce pays, passent des trafics divers qui alimentent en armements les guerres que nous avons dans la zone sahélienne.  Nous avons aussi une frontière avec le Mali dans des zones où l’Etat n’est pas toujours présent et qui sont un peu sous l’influence des organisations terroristes, notamment dans la région de Ménaka, et puis dans le lit du lac Tchad, comme vous le savez, la bande frontalière du territoire entre le Nigéria et nous est sous l’emprise de Boko-Haram. Si pour la Libye, le lit du lac Tchad est très loin de la capitale, la frontière malienne, par contre, est très proche de Niamey. La menace terroriste est ainsi beaucoup forte sur notre capitale. Mais vous aurez remarqué que nous sommes un pays qui s’en sort plutôt bien. La preuve est ce sommet (la conférence des chefs de l’Etat de l’UA, NDLR) qui vient de se tenir dans de bonnes conditions. Nous avons contenu nos ennemis pour ce qui concerne Boko-Haram.

«Nous allons nous doter des équipements le plus en adéquation avec les formes de combats que nous menons avec notre ennemi»

Je suis péremptoire, cette organisation, pour le Niger, ne représente plus de menace stratégique sauf s’il y a un coup de l’histoire où elle se renforce ailleurs. En 2019, nous avons imposé un rapport de force qui ne fait plus d’elle une menace stratégique pour nous. Notre armée a acquis le savoir-faire qui lui a permis de créer ce rapport de force de même que les hommes, à la frontière du Mali vont acquérir le savoir-faire nécessaire pour créer le même rapport de force. Le président Issoufou est totalement investi dans ce sens. Nous allons nous doter des équipements le plus en adéquation avec les formes de combats que nous menons avec notre ennemi. Nous sommes sûrs que nous nous adapterons à ces exigences et nous ferons en sorte que cette menace ne soit plus prégnante. Par conséquent, qu’on cesse d’associer le nom de notre pays au terrorisme. C’est le travail que font nos amis burkinabè où aujourd’hui, je le sais, la situation est en train de s’améliorer considérablement. C’est le travail que fait la Mali avec le président Ibrahim Boubacar Keita avec une chance d’évolution beaucoup plus positive.

Justement, dans ce sens, qu’est-ce qui empêche la coalition des trois pays que vous venez de citer, sous un commandement unique?

On n’a pas besoin de commandement unique pour le moment. Ce que nous faisons avec le Burkina Faso à nos frontières est déjà suffisant. Nous avons assez de coordination, mais aussi de présence à nos frontières respectives. Vous aurez constaté que nous avons contenu nos ennemis du côté Est pour le Burkina Faso et du côté Ouest pour le Niger. L’armée malienne est en train de se reconstituer. Elle ne s’est pas encore totalement remise des situations qu’elle a vécues à partir de 2012. Pour le moment, elle n’occupe pas le territoire le long de sa frontière avec nous comme c’est le cas avec le Burkina Faso. Le jour où elle se sera reconstituée et qu’elle aura acquis ses moyens pour pouvoir se déployer le long de sa frontière avec le Niger, nous aurons une situation similaire à celle du Burkina Faso. Donc, c’est cela la réponse. Vous avez évidemment le G5 Sahel (force conjointe regroupant le Burkina Faso, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad, NDLR) qui institue une grande coordination sur les espaces où les différents bataillons sont déployés aujourd’hui. Il faut travailler à ce que tout cela prenne corps véritablement.

Mohamed Bazoum (cravate) répondant aux questions du journaliste de Wakat Séra (Ph. Idimama Kotoudi)

A chaque attaque, le manque de moyens est invoqué. Au Niger, est-ce une question de moyens ou un problème de l’utilisation de ces moyens?

Non, au contraire. A chaque fois que nous avons été attaqués, l’ennemi a emporté des moyens considérables qui peuvent se retourner contre nous un jour, si ce n’est déjà le cas. La guerre est asymétrique et très souvent d’ailleurs, les moyens sont totalement disproportionnels. Quand vous avez des mortiers, des canons dans des casernes alors que la cible est une motocyclette, c’est quelque chose d’un peu absurde. Hors, malheureusement, il peut arriver, comme ce fut le cas à Inatès la fois dernière, qu’on nous prenne des positions de ce genre où vous avez un armement très lourd qui n’est pas adapté à l’ennemi. Ne croyez pas qu’au Niger, nous avons un problème de moyens, bien au contraire. Il n’y a qu’à entendre le nombre de véhicules que nous perdons sur les mines ou que l’ennemi emporte pour savoir que nous sommes suréquipés. Mais notre problème c’est le caractère asymétrique de la situation et nous sommes en train d’évoluer vers la conception des formes d’actions les plus adaptées.

Ne faut-il pas déjà œuvrer à empêcher les terroristes de frapper dans un pays et fuir pour se réfugier dans un autre?

Aujourd’hui, il leur est difficile de frapper au Niger et se réfugier au Burkina Faso. Mais, il est en revanche facile de frapper au Mali et d’entrer au Niger parce l’armée malienne n’est pas suffisamment déployée à la frontière pour constituer un tampon. Le jour où dans la région de Ménaka nous aurons des positions au Mali et des positions de postes militaires de reconnaissance avancés très proches de notre frontière comme c’est le cas des postes que nous avons à Tiloa, à Chinegodar, à Inatès et à Ekrafane, notre ennemi aura beaucoup plus de difficultés à se déployer.

Dans cette lutte contre le terrorisme, les pays du Sahel ont l’appui de forces étrangères comme Barkhane et la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA) qui, surtout la force française, ne sont pas en odeur de sainteté avec les populations de nos jours.

Barkhane est très utile et il n’y a pas de doute. Il agit notamment dans la région de Ménaka, frontalière du Niger avec des résultats probants en coordination parfois avec nous. Je serai malhonnête et déloyal si je vous disais que ce qu’ils font ne sert à rien, même si le problème n’a pas été tué à la racine. Cela dit, il faut savoir que nos amis ne se substitueront pas à nous et que le gros du travail nous revient.

Dans un journal prisé par les hommes politiques du continent, il a été dit que vos origines pourraient constituer un handicap, en tant que candidat à la présidence du votre pays. Ce fait communautaire est-il encore prééminent sur la vie politique au Niger?

Je n’en sais rien. Je suis mal à l’aise pour répondre à une telle question, sachant que je suis d’une petite communauté, mais que c’est tout un parti m’a désigné et que le président de la République qui a un bilan qu’il entend pérenniser a porté son dévolu sur moi. Oui! En Afrique, il n’y a pas de doute, le phénomène ethnique est une réalité. D’ailleurs, où ne l’est-il pas? C’est vrai qu’il y a eu Barack Obama aux Etats-Unis (un président noir, d’origine kényane, NDLR). Le Niger est l’un des pays du Sahel les plus intégrés de tous les ordres. Nous sommes un espace très ouvert parce que nous sommes au centre du Sahel. C’est un pays de métissage à nul autre comparable. Vous y trouvez des populations originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique du Sahara, qui vivent sur cet espace depuis des siècles. Les citoyens nigériens, et c’est un trait de culture qui ne date pas d’aujourd’hui, sont très tolérants et pacifiques. C’est cela qui explique que nous avons moins de violence qu’ailleurs. C’est tellement vrai et le phénomène ethnique est tellement peu prégnant que le père de Mahamane Ousmane, le premier président démocratiquement élu après la Conférence nationale, vient du Tchad. Le père de Mamadou Tandja, le deuxième président démocratiquement élu, vient de la Mauritanie. Ne croyez pas qu’il n’y ait pas eu de la part de certains, des campagnes sur le thème de l’origine de leurs pères respectifs. Moi aussi, mes adversaires évoquent mes origines arabes. Sauf que mon arrière-grand-père est arrivé au Niger dans les années 1840. Pas en 1940. C’est en 1840 que sa tribu, les Ouled Slimane (Les Oulad Souleymane (variante Ouled Slimane), également appelée wassili (variante washili), est une tribu arabe du Fezzan, en Libye, présente également au Tchad et au Niger, NDLR) dont je relève est arrivée au Niger. Les livres d’histoire sont là pour le confirmer. Je n’ai jamais été perçu comme appartenant à une ethnie, mais comme un dirigeant politique.

«Je n’ai pas un rapport au pouvoir qui peut relever de l’indécence. J’essaie d’être intègre et lucide au maximum en me disant que le pouvoir, après tout, c’est une affaire de Dieu.»

Quiconque m’a connu en politique ou à travers les syndicats, me reconnait comme quelqu’un de très engagé et j’ai assumé des fonctions très importantes au cours desquelles beaucoup m’ont certainement connu comme quelqu’un pour qui ces considérations sont totalement secondaires. La couleur de ma peau et mes origines sont des choses qui, dans la conscience des gens, sont plutôt secondaires à mon avis. Il va être difficile aujourd’hui de convaincre une grande partie des Nigériens que je n’ai pas de légitimité à prétendre à la présidence de la République de ce pays, à cause de la façon dont je suis perçu. En tout cas, depuis que je suis candidat, je n’ai jamais été en face de quelqu’un qui a eu un comportement douteux à mon égard.

«J’essaie d’être intègre et lucide au maximum en me disant que le pouvoir, après tout, c’est une affaire de Dieu» (Ph. Sidwaya)

Mais je peux vous dire que lorsque le président Issoufou voulait me proposer, je n’avais pas manqué de lui dire que je n’ai jamais imaginé cela, parce que je suis justement d’une minorité. Je n’ai pas manqué non plus de lui expliquer que le phénomène ethnique peut nous jouer un tour. Mais il a obstinément refusé et à l’expérience, je me rends compte qu’il n’a pas eu tort. Mais, j’ai toujours modestement pensé que la fonction présidentielle est une fonction redoutable sur laquelle il ne faut pas se jeter juste parce qu’on en a envie. Il faut s’entourer de toutes les précautions, surtout d’ordre moral, pour ne pas se laisser aller à des tentations parfois indécentes. Je n’ai pas un rapport au pouvoir qui peut relever de l’indécence. J’essaie d’être intègre et lucide au maximum en me disant que le pouvoir, après tout, c’est une affaire de Dieu.

 Propos recueillis à Niamey par Morin YAMONGBE