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Procès du putsch de septembre 2015: les droits de la défense en question

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Une vue des accusés dont les deux généraux Djibrill Bassolé (costume) et Gilbert Diendéré (tenue militaire) (Ph. Wakat Séra)

Dans cette tribune, Amadou Traoré, Juriste analysant les contours du procès relatif au putsch de septembre 2015 estime que dans une juridiction ou le juge même peut être à la peine, la défense des droits du justiciable s’avère hypothétique.

Dans une déclaration publiée le 8 mai 2018 à Abidjan, la Conférence des Barreaux de l’Espace UEMOA et la Conférence des Barreaux de l’Espace OHADA, qui regroupent près de vingt mille Avocats, ont appelé à la suppression des juridictions militaires dont l’organisation et le fonctionnement ne garantissent ni le respect des droits de la défense, ni les règles du procès équitable, encore moins les exigences de l’Etat de droit ; ils préconisent le jugement de toutes les affaires pénales par les juridictions répressives de droit commun.

Cette déclaration doit être prise au sérieux par les décideurs attachés à l’Etat de droit, parce que si l’on peut reprocher à un avocat de défendre une cause individuelle, au contraire, les barreaux ne défendent que des principes de droit et de la défense.

Le particularisme des textes qui régissent la juridiction militaire au Burkina Faso a été largement traité par Maitre Hermann Yaméogo à travers deux ouvrages intitulés l’un « La justice militaire, on supprime ou on supprime » et l’autre « Burkina Faso : solutions d’hier, problèmes d’aujourd’hui ». Je ne reviendrai donc pas sur ces aspects théoriques. Dans la présente tribune, je me limiterai à conforter la réalité du non-respect des droits de la défense et des règles du procès équitable dans le déroulement du procès du putsch manqué actuellement en cours devant le Tribunal militaire.

Dans un Etat de droit, le procès équitable est l’objectif de toute juridiction d’Etat. Le procès équitable ne peut être obtenu sans respect des droits de la défense parce que la procédure pénale se fonde sur des principes : elle doit être équitable et contradictoire ; elle doit préserver l’équilibre des droits des parties, garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. Le respect du droit de la défense n’est pas une faveur : c’est la loi qui le veut ainsi.

Or, dans la justice militaire, l’application de ces principes généraux est laissée à la discrétion du Ministre de la défense de par les dispositions de la loi. Toute la justice militaire est en effet construite autour du Ministre de la défense que l’article 3 de la loi n°24-94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de justice militaire désigne comme son chef suprême et premier responsable, investi de pouvoirs qu’il peut déléguer à certaines autorités militaires désignées par décret.

De façon redondante, l’article 8 de la loi n°013/99/AN du 07 juin 1999 portant Statut des personnels de la justice militaire dispose que « les magistrats militaires ne relèvent que de leurs chefs hiérarchiques et du Ministre de la défense dans l’exercice de leurs fonctions. »

Pour pourvoir au personnel de la justice militaire, l’article 18 du Code dispose que « …….. Tous les membres du tribunal militaire sont nommés par décret pour une durée d’un an. » Cette précarité constitue un frein à l’indépendance des juges militaires.

Rappelons en outre qu’au regard des articles 71 et 72 du Code de justice militaire, aucune poursuite ne peut avoir lieu que sur ordre de poursuite délivré par le Ministre chargé de la défense et l’action publique ne peut être mise en mouvement par le Commissaire du Gouvernement que sur ordre de poursuite à lui adressé par le Ministre chargé de la défense.

Il s’en suit que 2 personnes poursuivies pour les mêmes infractions par la justice militaire peuvent être jugées différemment selon le bon vouloir du Ministre de la défense.

Or, le droit à l’égalité devant les juridictions ainsi que le droit à un procès équitable constituent des éléments clefs de la protection des droits de l’homme et de préservation de la primauté du droit : cette égalité est loin d’être déterminante devant la justice militaire.

Concernant l’étape du jugement proprement dit, s’il est vrai que l’article 123 du Code de justice militaire dispose que la procédure de jugement est celle qui est applicable devant les tribunaux de droit commun, dans les faits, l’omnipotence et l’omniprésence du Procureur militaire demeurent prégnantes au cours du procès. L’on se rappelle que le Procureur militaire a fait placer en garde à vue de sa seule initiative le journaliste Ouédraogo Adama dit Damiss du 31 mars au 3 avril 2018 pour avoir comparu en retard à l’audience du Tribunal militaire. Or, au regard des articles 109 à 113 du Code de justice militaire, la prérogative de contraindre un inculpé relève de la compétence exclusive du Président du Tribunal.

Le constat est que le Procureur militaire est tellement puissant qu’il empiète sur les attributions du Président du Tribunal à sa convenance. Dans un tel environnement, l’on comprend aisément les récriminations des avocats des inculpés contre la justice militaire burkinabè au regard sans doute des abus subis par leurs clients dans le silence durant les deux années d’instruction.

C’est pour cela que la présente tribune sera consacrée aux atteintes aux droits des inculpés durant le procès du putsch manqué et aux conséquences dommageables pour la société au nom de qui la justice est rendue et qui ne connaitra pas la vérité dans un procès tronqué.

  1. ATTEINTES AUX DROITS DE LA DEFENSE DES INCULPES

I.1 Les insuffisances du Décret de nomination des juges

Dès l’entame du procès du putsch manqué le 27 février 2018, l’exécutif a créé le doute sur sa volonté de se conformer aux textes et de respecter le droit des inculpés. Ainsi, les avocats de la défense ont fait des reproches majeurs au décret de nomination des juges de la Chambre de première instance auxquels ils attendent toujours des réponses.

Tout d’abord de leur avis, la dénomination donnée au Tribunal par le décret du Président du Faso ne serait pas conforme à celle qui est prévue par les textes de la justice militaire. En effet, le Code de justice militaire prévoit en son article 4 que le premier niveau de juridiction du Tribunal militaire s’appellera désormais « Chambre de première instance » ; mais le décret du Président maintient la dénomination « Chambre de jugement » qui n’existe plus.

Ensuite, en tant que Ministre de la Justice, il est revenu à Monsieur Réné BAGORO de proposer la liste des magistrats de la Chambre de première instance au Président du Faso. Il a été également cosignataire du décret de leur nomination. Mais on sait aussi qu’il est partie civile au procès du putsch manqué. En matière judiciaire, cela n’est pas admissible, parce que les inculpés peuvent douter à juste raison de l’impartialité des juges qu’il a choisis. Il se dit même de source introduite que des noms de juges ont été biffés de la liste initiale, dont celui du juge Jean Marie Ouattara à qui le pouvoir reproche d’avoir accordé la liberté provisoire au Général Djibril Bassolé.

Enfin, de l’avis des avocats, le décret ne serait pas conforme à la Constitution parce que le Président du Faso aurait empiété sur les attributions constitutionnelles du Conseil supérieur de la magistrature en nommant les magistrats devant siéger au sein du Tribunal.

Le Conseil constitutionnel qui a été saisi par les avocats de la défense pour statuer sur le dernier grief cité a déclaré par décision n°2018-006/CC du 21 mars 2018 que le décret du Président était conforme à la Constitution au motif que les nominations et les affectations dans la juridiction militaire dérogeaient aux règles de droit commun et par voie de conséquence n’étaient pas du ressort de compétence du Conseil supérieur de la magistrature. Cette décision du Conseil a donc tout naturellement été critiquée par des praticiens du droit pour qui les motivations des sages n’étaient pas pertinentes. Mais les deux autres points de discorde sont restés en l’état.

Le respect de la légalité par le Président du Faso devrait commencer par le retrait de ce décret contestable pour le reprendre avec la bonne dénomination de la juridiction concernée et dans le respect de la loi. Le doute est dès lors permis sur les intentions de l’exécutif à se soumettre à la loi et au droit.

I.2 Les difficultés d’exercice du droit de récusation

Le problème de récusation du Président de la Chambre de première instance est le second point de discorde entre les parties au procès.

La récusation est une défense du justiciable contre le soupçon de partialité d’un magistrat siégeant dans une juridiction. L’article 27 du Code de justice militaire dispose que : « Tout inculpé, tout prévenu dispose du droit de récusation à l’égard des membres d’une juridiction militaire.

De même, tout membre de ladite juridiction qui a motif de récusation en sa personne, est tenu de le déclarer. Dans tous les cas le Tribunal statue par décision motivée.

Les causes de récusation sont celles prévues devant les tribunaux de droit commun en fonction de la qualification de l’infraction. »

Cet article 27 répond à trois questions. La première est que l’inculpé dispose du droit de récuser les membres de la Chambre de première instance qui les juge. Le second est qu’il est du devoir de tout magistrat de cette juridiction de dévoiler les causes présumées de récusation attachées à sa personne afin que le Tribunal statue par décision motivée. Le troisième est que les causes de récusation sont identiques à celles des tribunaux de droit commun en fonction de la qualification de l’infraction.

L’article 26 du Code de justice militaire dispose entre autres causes de récusation proprement dites que nul peut, à peine de nullité, siéger comme président ou juge ou remplir les fonctions de juge d’instruction militaire dans une affaire soumise à une juridiction des forces armées « 4° S’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur ou comme président ou juge de la chambre de contrôle de l’instruction »

Cet article est presque identique à l’article 648 du Code de procédure pénale qui dispose également que tout juge ou conseiller peut-être récusé « Si le juge a connu le procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès »

En d’autres termes, un magistrat ne peut pas connaitre un même dossier à double titre. Or, les pièces de procédure révèlent que le Président de la Chambre de première instance Monsieur Seidou OUEDRAOGO est déjà intervenu dans le dossier du putsch manqué du 16 septembre 2015 en qualité de magistrat en rendant l’ordonnance n°001/2016 du 27 mai 2016 pour dessaisir le Cabinet d’instruction numéro 4 au profit du Cabinet numéro 1. C’était au cours de l’instruction. Au regard des articles 26 du Code de justice militaire et 648 du Code de procédure pénale, il ne peut donc plus siéger comme président ou juge dans ce même dossier, sans qu’il soit même nécessaire pour l’inculpé de justifier d’un préjudice quelconque.

La faculté pour les justiciables de récuser un juge fait partie des garanties d’impartialité qui est une exigence universellement partagée et déterminante dans le respect du droit de la défense et du procès équitable. La question de récusation du Président de Chambre Seidou Ouédraogo ainsi que de son conseiller, aurait dû être réglée préalablement à toute décision du Tribunal, ce qui n’a pas été le cas à ce jour.

L’on ne doit pas s’attarder sur les déclarations de certains avocats de la partie civile tendant à faire croire qu’une décision judiciaire a déjà été rendue relativement à la récusation du Président Seidou Ouédraogo et de son conseiller. La déclaration d’incompétence n’est pas une décision définitive, c’est le refus d’une juridiction d’examiner le point de droit qui lui est soumis.

L’on se rappelle que le 26 mars 2018, cette même Chambre de première instance, saisie d’une demande de récusation de son Président et d’un conseiller par les avocats de certains inculpés, se déclarait incompétente et invitait les requérants « à saisir les juridictions compétentes ». Ceux-ci avaient conséquemment saisi la Chambre criminelle de la Cour de cassation de leur demande de récusation. Contre toute attente, la Présidente de cette Cour, à qui la requête n’était pas destinée, l’a quand même interceptée et a rendu une décision pour dire que la Chambre criminelle est incompétence pour récuser les deux magistrats. Ces refus de statuer de ces juridictions ne sont pas des décisions définitives. Elles prouvent plutôt la mainmise de l’exécutif sur le Tribunal militaire et sur les rouages du système judiciaire burkinabè.

C’est donc par une procédure juste et éclairée que l’Avocate Maitre Solange Zeba, Conseil de Moussa Nebié dit Rambo, a saisi de nouveau la Chambre criminelle de la Cour de cassation d’une demande de récusation du Président de Chambre Seidou Ouedraogo et de son conseiller Emmanuel KOUENENE. Elle a notifié l’information du recours au Tribunal par voie d’huissier à l’audience du 14 juin 2018 pour que tous les concernés en tirent les conséquences. Certes, le Président du Tribunal a feint de passer outre cette procédure au motif que la notification au Tribunal devrait être faite par la Cassation elle-même. Mais la suspension de l’audience par le Tribunal jusqu’au 29 juin ne trompe pas : le Président Seidou Ouedraogo et son conseiller sont manifestement en mauvaise posture. La procédure de Maitre Solange Zeba va sans nul doute sonner leur glas au sein du Tribunal administratif.

Certains praticiens du droit ont exprimé leur inquiétude de ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation puisse considérer qu’une décision a été déjà rendue dans la cause par la Présidente zélée qui a statué unilatéralement en lieu et place de la composition collégiale. Si tel était le cas, le blocage serait consommé définitivement et c’est le Conseil constitutionnel qui départagera les parties, ce qui ne fera que rallonger le procès. Compliqué tout cela !!

I.3 La problématique de la comparution des témoins des inculpés

Les témoins jouent un rôle de première importance dans le déroulement d’un procès criminel comme celui de Septembre 2015. Le témoin est une personne qui est supposé détenir des informations pertinentes concernant un crime. A la demande de la poursuite ou de l’accusé, il doit se présenter au tribunal pour transmettre ces informations au juge ou au jury afin de déterminer si l’accusé a bel et bien commis le crime. Les témoins jouent donc un grand rôle dans le procès pour la manifestation de la vérité, et l’on ne saurait imaginer un procès d’importance où les témoins ne participeraient pas à la manifestation de la vérité.

Mais dans le cas présent, on sait que certains témoins majeurs ont refusé de se présenter à l’instruction initiale. Et au lieu d’œuvrer pour assurer leur comparution au procès ouvert le 27 février 2018, le Tribunal militaire a plutôt invalidé les listes des témoins communiquées par les avocats de la défense en violation de la loi. L’argument retenu pour cela est que c’est aux inculpés qu’il revenait d’assurer la comparution de leurs témoins et qu’au stade du procès, il n’était plus possible de le faire.

Pourtant, l’article 90 du Code Pénal dispose à propos des témoins que : « Toute personne citée pour être entendue en témoignage est tenue de comparaitre, de prêter serment et de déposer. Si elle ne comparait pas, le juge d’instruction militaire peut, sur les réquisitions du Procureur militaire, sans autre formalité ni délai, prononcer une amende qui n’excède pas 20 000 F CFA et ordonner que la personne citée lui soit conduite de force ». Le Code de justice militaire n’en dispose pas autrement. Son article 119 ajoute cependant que le tribunal militaire peut passer outre la présence d’un témoin aux débats dans le cas où l’intéressé a déposé à l’instruction, et que lecture de cette déposition peut être donnée à la demande du défenseur ou du Ministère Public. Le principe légal est donc la comparution des témoins.

En outre, c’est la juridiction qui est garante de la présence des témoins au procès et beaucoup d’articles du Code pénal et du Code de justice militaire vont dans ce sens. L’article 105 du Code de justice militaire est clair à ce propos en disposant que « Les citations et notifications aux témoins, prévenus, inculpés sont faites sans frais par la gendarmerie ou par tous autres agents de la force publique. » Il revenait donc au parquet de convoquer les témoins à l’avance. Que certains avocats de la défense aient procédé à la convocation de leurs témoins par voie d’huissier ne dispense nullement le parquet de ses obligations.

L’on s’étonne donc que non seulement le parquet n’ait pas cité les témoins de la défense à comparaitre, mais qu’il n’ait pas informé plus tôt les avocats des inculpés qu’il ne le fera pas. La justice est rendue au nom du peuple sur la base de la vérité, et c’est le parquet (ministère public) qui représente la société dans le procès. Il est donc malaisé de comprendre que le représentant du peuple œuvre à empêcher la comparution des témoins dans le seul but d’obtenir une décision rendue sur de fausses informations.

Le rejet des listes de témoins des accusés fut à cet effet un acte criard de partialité de la juridiction militaire. C’est donc à juste raison que les avocats se sont déportés massivement du dossier pour manifester leur désapprobation face aux abus du Tribunal. Malgré cette alerte, le Tribunal a maintenu le procès en violation des dispositions de la loi et du bon sens alors que le seul article 54 de la loi n°014-2017/AN du 29 juin 2017 suffisait à assurer la présence des témoins au procès. Cet article dispose en effet que « les témoins appelés par les parties sont entendus dans le débat même (…) s’ils n’ont pas été assignés», c’est-à-dire même sans citation à comparaitre.

  1. MOTIVATIONS ET INCIDENCES DES ATTEINTES AUX DROITS DE LA DEFENSE

Le Général Gilbert Diendéré, principal inculpé du procès a reconnu sa part de responsabilité dans le putsch manqué. Mais il a demandé la comparution des témoins pour éclairer la lanterne du tribunal. A la limite, le Général demande qu’on lui permette de dévoiler ses complices pour que chacun réponde de ses actes à la hauteur de ses responsabilités. Tous les acteurs majeurs du procès épris de justice devraient saluer cette quête de vérité. Il est donc incompréhensible que certains d’entre eux et même des professionnels du droit, demandent de passer outre tout formaliste dans ce procès parce que de leur avis, les coupables sont déjà connus. Il ne peut en être ainsi, parce que la présomption d’innocence est une notion centrale du procès et il doit être permis à chaque inculpé d’exercer tous ses moyens de défense et d’épuiser tous les recours légaux.

II.1 Les motivations des atteintes aux droits de la défense

Les violations de la loi et les atteintes au droit des inculpés ci-dessus citées ne sont pas fortuites. L’enjeu est sans nul doute pour les responsables de contrôler le déroulement du procès et d’empêcher la comparution de certains témoins de la défense afin de leur éviter une éventuelle inculpation. L’article 120 du Code de justice militaire dispose en effet qu’« Au cours des débats, lorsque la déclaration d’un témoin parait fausse, le Président peut, sur réquisition du Procureur militaire ou d’office faire procéder à son arrestation sur le champ. Le greffier en dresse procès-verbal adressé au Procureur du Faso du ressort du tribunal militaire. »

La comparution des témoins s’effectue conformément à des règles tenant compte de leur statut social et professionnel, de leur lieu de résidence ou des immunités dont ils bénéficient éventuellement, etc. Les difficultés de comparution des témoins résidant à l’étranger sont réglées par les dispositions des textes qui régissent la coopération judiciaire. Si le juge décide de passer outre leur audition, la décision doit être motivée. Ainsi, on sait en informel que l’ancien Président béninois Monsieur Yayi Boni, témoin de la défense ne voit aucun inconvénient à être auditionné dans son pays. Sauf à un témoin cité de produire un document qui l’autorise à ne pas comparaitre, nul n’est au-dessus de la loi pour s’y soustraire.

Certes, le Président et les membres de la Chambre de première instance encaissent les critiques émises sur les insuffisances et le dysfonctionnement de leur juridiction. Mais on le sait, leurs actes traduisent la volonté du Ministre de la défense ; et ce dirigisme va à l’encontre des principes qui guident l’indépendance de la magistrature et l’impartialité du juge. La déclaration du 8 mai 2018 de la Conférence des Barreaux de l’Espace UEMOA et la Conférence des Barreaux de l’Espace OHADA trouve tout son sens.

La Présidente de la Cour de Cassation n’aurait pas osé rendre une décision unilatérale déclarant la Chambre criminelle incompétente si elle ne comptait pas sur une protection. Pour preuve, elle n’a jamais été inquiétée pour cette faute lourde. En revanche, les avocats de certains inculpés ont engagé une action à son encontre devant le Conseil de discipline de la magistrature. L’article 33 de la loi organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature dispose en effet en son premier paragraphe que le Conseil de discipline peut être saisi par « tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir la qualification de faute disciplinaire. »

II.2 Les incidences des atteintes aux droits de la défense

La conséquence majeure de la violation de la loi et des atteintes aux droits des inculpés par le Tribunal militaire est le retard des débats au fond du procès. Aucun avocat sincère, fusse-t-il commis, n’acceptera de défendre au rabais un client, parce qu’il en va de sa notoriété. Les autorités investies du pouvoir de décision qui, en connaissance de cause, laissent perpétuer ces violations de la loi et ces atteintes aux droits endossent la responsabilité des blocages qui ne manqueront pas de survenir tout au long de ce procès. Ce que nous devons tous rechercher, ce n’est pas la condamnation de quelques coupables et des innocents ciblés, mais la condamnation des vrais coupables à quelque niveau qu’ils soient, et l’acquittement des innocents.

Tous les acteurs de la justice militaire savent qu’au regard des textes, le Président Seidou Ouédraogo est incompétent pour juger ce dossier du putsch manqué et que toutes les décisions rendues à ce jour par la Chambre de première instance sous sa direction sont nulles. Tous savent également que le forcing pour passer outre ces illégalités aboutira sur le bureau de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, ce qui ne fera que retarder le procès.

En ramenant sur la table la question de récusation du Président de la Chambre de première instance et de son conseiller, l’avocate Maitre Zeba, rend donc service à tout le système en donnant une seconde chance au système de corriger les erreurs commises. A cet effet, la récusation du Président Seidou Ouédraogo permettra au Président du Faso de procéder à de nouvelles nominations de juges en prenant un décret conforme aux textes. C’est le préalable d’une reprise du procès sur de nouvelles bases plus sereines.

CONCLUSION

Le 11 mai 2016, à la suite du dessaisissement irrégulier de juges du Tribunal militaire de Ouagadougou, le Comité intersyndical des magistrats Burkinabè a condamné les atteintes graves à l’indépendance de la justice militaire et demandé entre autres réformes l’extension à la justice militaire des réformes récentes de la justice civile pour plus d’indépendance ou simplement la fusion de celle-ci dans la justice civile.

Outre le caractère abusivement inéquitable de la juridiction, le procès du putsch manqué s’est fortement politisé, ce qui ne favorise pas la tenue d’un procès équitable.

Dans une juridiction ou le juge même peut être à la peine, la défense des droits du justiciable s’avère hypothétique. Quelle peut-être la finalité d’une telle juridiction dans un Etat de droit ? Seule l’application des règles de la justice de droit commun assurera un procès équitable accepté des justiciables du Tribunal militaire.