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RD Congo: dans les tourments!

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Le président congolais, Félix Tshisekedi (Ph. d'archives)

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshiseakedi, a tenu son pari. A court terme. Pendant plus d’une semaine, du 2 au 9 novembre, à Kinshasa, il a inauguré une série de consultations avec «les forces politiques et sociales les plus représentatives», en vue de sortir le pays du bourbier.

L’idée, avouée, et si bien expliquée par ailleurs dans son adresse du 23 octobre, visait à créer une «union sacrée de la nation», susceptible d’imprimer une nouvelle orientation de l’action gouvernementale. Etant donné que la coalition politique au sein de laquelle il évoluait avec l’ancien président Joseph Kabila était devenue une sorte de «bateau ivre qui tanguait». Donc, crise politique majeure? Effectivement.

Elles sont venues, ces forces, de tous les horizons. En voici les sommités: plateforme politique LAMUKA, représentée par Jean Pierre Bemba et Moïse Katumbi. Ce dernier, venu exprès de Lubumbashi, capitale du cuivre; des chefs des confessions religieuses, dont la présence des cardinaux Ambongo et Monsengwo de l’Eglise catholique, paraissait rehausser l’éclat de celle de tous les autres; Dr Mukwege, prix Nobel de la paix, arrivé de la province problématique du Kivu; représentants de la société civile, etc.

Du beau monde, en somme! Le «quorum», pour ainsi dire, était-il amplement atteint! Et, à première vue, on pourrait conclure que les jeux étaient faits. Que nenni. Il y a eu, à notre sens, des ratés notables, car le terme «union sacrée» renferme l’idée de rapprochement, dans une situation donnée, de toutes les tendances politiques. Il fut utilisé, pour la première fois, en avril 1914 (Première guerre mondiale), par le président de la République française Raymond Poincaré, pour susciter la solidarité des Français, face à l’ennemi.

«Cassez-nous la baraque»

Or, en ce qui concerne le dialogue en question, deux leaders de la plateforme LAMUKA n’y ont pas pris part, en l’occurrence Martin Fayulu et Muzito. Pourtant, ce ne sont pas des menus fretins sur l’échiquier politique congolais. Fayulu charrie aujourd’hui derrière lui des millions des Congolais. L’ancien président Kabila ou un de ses représentant aurait dû y être présent, étant donné qu’il s’agissait de l’intérêt supérieur de la nation. C’est comme s’il y avait du sable dans l’engrenage.

Est-ce un important couac, eu égard à cette circonstance? Quoi qu’on en pense, l’occasion a fait apparaître des fissures. D’ailleurs, dès l’annonce du président de la République, en ce 23 octobre, les avis étaient largement partagés. Le scepticisme, plutôt que l’enthousiasme, dominait. En 1992, après la Conférence nationale, Nguz a Karl i Bond, un des leaders politiques majeurs de l’époque, initia l’idée de «l’union sacrée de l’opposition». Elle n’eut aucun effet contre le régime dictatorial de Mobutu, faute d’union.

En souvenir, on a le droit de penser qu’on a assisté là qu’«à un air de déjà vu». En fait, on a déjà vu défiler des dialogues de tous genres, même celle au sommet, concernant l’Accord de Sun City en Afrique du Sud, en 2002. Ils n’ont rien apporté au peuple congolais, voilà des lustres.

Quid? Des voix, encore une fois, s’élèvent préconisant la patience afin de «donner sa chance au soldat Tshisekedi». A l’investiture de ce dernier fin 2018, le directeur de la revue «Jeune Afrique», François Soudan, faisait partie de ceux qui étaient à la tête de ce lobbying.

Aujourd’hui, la donne a changé. Négativement. Le dialogue voulu par le chef de l’Etat sonne comme un échec de la coalition politique avec son «partenaire» Kabila. Mais aussi un échec personnel. Le ton du cardinal Ambongo, répondant aux questions de la presse, ne signifie pas autre chose. Quand le prélat a mis plusieurs fois le doigt sur le mot «changement» qui doit intervenir, il ne faisait autrement voir qu’un autre sens de l’échec. Le Dr Mukwege l’a formulé à sa manière, de façon globale, mettant en avant la réforme des institutions. Mais aussi la nécessité d’activer la proposition sur l’instauration d’un tribunal international spécial sur les crimes commis au Congo. Ainsi, «même la question de Minembwe sera-t-elle automatiquement résolue», a-t-il dit.

La donne a également changé sur le plan de la légitimité. Positivement. La présence des personnalités réunies autour de Tshisekedi, au cours de cette rencontre, a confirmé sa place comme chef de l’Etat. Mais dans une tournure à contraintes. Le changement préconisé par le Cardinal Amongo n’est ni moins ni plus le langage de ceux qui savent répondre en Normand. En clair, Il voudrait dire au président de la République: «Cassez-nous la baraque», autrement dit «divorcer d’avec les forces rétrogrades», ou «cessez cette coalition de malheur avec Kabila».

Empoignade en perspective

Cependant, vu le contexte actuel de la politique que traverse le pays, il est plus facile de tout dire que de faire dans le domaine du changement. Pour Tshisekedi, nous devons nous rendre à l’évidence: c’est un soldat sans armes. Devant un adversaire – Kabila –, possédant l’effectivité du pouvoir et ayant ainsi sous ses ordres l’armée, la police, les services de sécurité. D’aucuns parlent des manœuvres politiques constitutionnelles reposant sur la requalification de la majorité au niveau de l’Assemblée nationale.

On n’en voit pas le danger, dans la mesure où le député à «acquérir» devient comme une marchandise, un bien matériel précieux.  Circulation de l’argent et corruption massive vont donc avoir lieu. Dangereusement. Il n’en ira pas autrement. D’où empoignade en perspective. Heureux député qui, dans ce jeu, pourrait facilement devenir millionnaire!

Dans tout état de cause, il apparaît difficile de voir le bout du tunnel, si Kabila et son camp ne se mettent point à rechercher la solution ensemble.

En attendant la «réponse» du président de la République, en rapport avec le tour de table effectué avec les forces vives de la nation, l’assurance n’est pas au rendez-vous. Tout comme en attendant la fin de l’épilogue, l’incertitude aura raison de l’optimisme. Or, «L’incertitude est, de tous les tourments, le plus difficile à supporter», disait Alfred de Musset (XIXè).

Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France