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Sahel: contrevérités sur la présence française et sur le partenariat nécessaire face à la crise sécuritaire*

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Dr. Ahmed Dieme

Docteur Ahmed Dieme de Sahel stratégie communication (SASCOM), un bureau de consulting sur les questions de conflits politiques religieux basé à Bonn en Allemagne, aborde avec pertinence dans un livre en cours de rédaction, sous le titre-provisoire?- de «Négro-Djihadisme versus démocratie: pour une archéologie et une analyse des narratifs», ce sujet d’actualité qui soulève tant de passion. Face aux manifestations en cours au Sahel, et plus particulièrement au Burkina Faso, le consultant indépendant qui produit des analyses et expertise pour une clientèle variée d’Etats, d’organismes de recherche, de la Deutsche Welle, etc., relève bien des contre-vérités sur la présence française et sur le partenariat sécuritaire nécessaire face à la crise sécuritaire. Il met le doigt sur la posture actuelle d’une certaine opinion qui ne rend pas service à la défense du pays. Une copie de cet excellent ouvrage dont il s’attelle à l’écriture est parvenue à notre rédaction et nous la publierons par séquences. Ne ratez rien de cette analyse dans nos différentes éditions à venir.

Introduction

Dans le sillage de l´internationale islamiste depuis plusieurs décennies, mais en particulier depuis l´évènement majeur du 11 septembre 2001, au fil du temps, du Maghreb à ses voisins immédiats du Sahel, le Djihad a amorcé sa négrification.

Il existe une faible littérature sur ce nouveau phénomène. C´est la raison pour laquelle, cet article contribue à plus de connaissance sur le Djihad en Afrique noire. Son existence remonte à plusieurs siècles. Entre temps des Etats laïcs et multiethniques, et des Républiques démocratiques, se sont construits sous l´ordre colonial. Ils font face, depuis une dizaine d´années, au recul démocratique après le tournent des années 1990.

A ce recul qui est source d´instabilité, on peut ajouter la survivance de certains irrédentismes. Pis, une nouvelle forme d´insurrection surgit et touche aux fondamentaux de ces Etats et Nations. Je me souviens en 1998, étudiant à Alger, que mes amis, face à mes inquiétudes de l´époque, quant à l´extension de l´islam politique du Maghreb vers le Sahel, estimaient que jamais le djihadisme ne nous atteindrait. Pourtant, depuis quelques 15 ans, c´est le cas. L´Afrique étant caractérisée par toutes sortes de porosités qui traduisent une faiblesse de ses structures culturelles et tecno-scientifiques.

Il semble que la guerre des religions sous sa forme actuellement faible, élit progressivement domicile sur bien des parties du continent. Au Sahel, connaitre le phénomène du Djihad nécessite une archéologie, c´est à dire fouiller et scruter la situation conflictuelle relative au processus de politisation des religions, notamment l´Islam. Parmi les attitudes sociétales qui me semblent brouiller ce travail de clarification, on peut noter certains narratifs qui se chevauchent avec la théorie du complot. Tels sont les deux objectifs que s´assigne cet article.

Le Djihad: controverses de la notion fine du djihad versus sa poursuite ou «Adine Wa Dawla» et la permanence du Djihad

Au sein de certains des penseurs islamiques, notamment chez les soufis identifiés ou appartenant au courant «Altidiani » dans une bonne partie de l’Afrique de l´ouest, le djihad est un travail moral sur soi, en vue de devenir meilleur et proche des degrés de sainteté. Il signifie aussi un engagement personnel ou collectif dans la propagation ou le triomphe de l´islam.

La conduite stoïque, l´endurance, le sens du sacrifice sur soi en vue du bien, la quête spirituelle, y compris par le mysticisme, sont les objectifs du soufisme. Dans l´organisation socio politique, l´instance suprême est incarnée par le Cheick ou le Wali. En Afrique de l´ouest cette organisation présente un aspect dynastique dans l´ordre successoral. Ici l´aspect est une réplique de l´organisation politico anthropologique, ou la création d´une nouvelle noblesse d´inspiration religieuse. Là il constitue la survivance des rapports de domination issus des conquêtes interafricaines.

Le Cheick joue la fonction intermédiaire dans le lien entre le fidèle croyant, l´adepte, et Dieu, l´Absolu. Ainsi, l´instance interprétative des prescriptions et des textes dans la transmission du savoir de la sagesse voir de l´ordre, réside et s´exprime au niveau du Cheik ou le Wali dont la succession est quasi dynastique.

L´instance interprétative renvoie à une certaine centralisation du savoir religieux. Cette forme de possession et de transmission doit être contextualisée, en précisant qu´elle a prospéré lorsque les masses n´avaient pas atteint un certain niveau d´instruction religieuse. Aujourd’hui, on assiste depuis plusieurs décennies à sa remise en cause.

Au sein des confréries religieuses dans les sociétés où se vit se pratique cet islam soufi, on retrouve aussi trois éléments fondamentaux constitutifs de la forme Etat: exemple des Mourides au Sénégal, on devient adepte de la confrérie par allégeance – on reçoit les ordres ou les consignes sous forme de «Ndiguel», ordre en langue Wolof, à ne pas remettre en cause – on doit au marabout ce qu’on appelle en arabe, la Diya, en wolof «Adia».

Dans leurs structures primaires, tous les Etats hiérarchisés comportent ces trois éléments. Dans l´Etat moderne, cela correspond à l´appartenance à la Nation naturellement ou avec des droits politiques et une citoyenneté dont la marque est la carte d´identité ou la République – on obéit à la loi qui constitue un instrument de régulation, d´organisation, de codification de la vie nationale – chaque citoyen doit participer à l´effort collectif et à la construction de la Nation par le payement de l´impôt.

Chez les courants «sunit» qui, outre le coran partagé par tous, ce sont les enseignements du Prophète, ses pratiques et ses récits, datant du 7 siècle, tels quels, qui sont le contenu. Et   l´instance interprétative est plus libéralisée, démocratisée. Car, accéder au savoir, n´est pas déterminé par le Cheikh. Ici le Cheikh ou l´imam n´a pas l´ascendance cognitive sur les fidèles musulmans.

Ce qui implique, certes, un enseignement des Oulémas, mais aussi une autonomisation de l´adepte vis-à-vis de tout Cheikh, s´il le veut, Car dans ce courant, le savoir n´est pas centralisé. Du coup, tout croyant y ayant droit, chacun peut se prévaloir d´un savoir pour guider sa vie, pourvu simplement qu’y ait eu pour référence, les Hadith et le Coran.

Il n´empêche que cette autonomisation est plus susceptible de diversité d´interprétations. Peut-on faire autrement, si l´on sait que les textes religieux, dans l´islam, n´ont pas encore fait l´objet d´une codification unique placée sous la direction des autorités islamiques? Peut-on faire autrement si les textes religieux sont caractérisés par une grande polysémie? Peut- on faire autrement si les interprétations de chaque courant ont tendance à dé-historiciser ou à trans-historiciser le contenu des textes?

Une bonne partie de ces «Sunit se réclame de Abdoul Waheb», d´où le wahhabisme. Seulement, c´est l´Arabie et la dynastie royale qui sont les références idéologiques, religieuses, financières, politiques. Un rappel historique. La royauté saoudienne qui a le monopole du religieux, le conservatisme de l´islam qui est, en fait, son interprétation, sont des évolutions historiques, des structures créées avec une forte implication ou un soutien du Royaume Uni dans les siècles précédents.

Or, les tenants et idéologues du wahhâbisme dissident, estime que l´Islam est antinomique à la royauté. La forme politique qui correspond à leur interprétation de l´islam, ce serait le Kalifat. Sa restauration impliquerait la fin des monarchies arabo musulmanes. Lesquelles monarchies sont perçues comme complices ou des créations artificielle occidentales.

Une autre partie des sunit wahhabite ont eu tendance, sur fond de la question palestinienne, au cours des dernières décennies, à créer une dissidence politique voire idéologique très active et subversive. Cette dissidence vise, entre autres, à s´autonomiser vis-à-vis du clergé wahhabite, à politiser davantage l´islam, afin d´introduire la critique au sein du wahhabisme officiel.

Le mot d´ordre étant d´affranchir l´islam de l´occident dont les intérêts géostratégiques s’articulent autour du pétrole et de la protection d´Israël. Dans leur narratif, surgit l´idée qu´une alliance des deux monothéismes, abrahamique et judéo-chrétienne, serait en guerre contre le monothéisme islamique.

Selon ce wahhabisme dissident, l´objectif politique est de mettre en place une internationale islamiste, voire le Khalifat. De par sa nature, le retour à l’ancien ordre prophétique qui ressemble au purisme et qu’on appelle salafisme, le Khalifat est censé déstabiliser les monarchies actuelles du monde arabe, afin de redonner à l´islam son lustre d´antan. Sauf que ce lustre d´antan comportait également une force critique interne dont la trajectoire de sécularisation a été détournée par les musulmans eux à travers leur courant régressif de leur Oulémas

Ce courant a trouvé une convergence riche, opérationnelle qui redynamise l´idée d’internationale islamique, dans le mouvement Dawha assez structuré au Pakistan et en Afghanistan. Dawha signifiant évangélisation version arabo musulmane. Pendant que la centralité saoudienne faisait certes du prosélytisme á distance en finançant ONG et mosquées, universités et associations islamique, tout en se montrant intraitable vis-à-vis de ses contestataires internes.

Les effets de ce prosélytisme à distance sont pourtant négatifs sur les ordres politiques et sociétaux des pays africains, représentent l´émergence de l´islam rigoriste. L´Arabie Saoudite le fait-elle sciemment ou inconsciemment? Cherche-t-elle ainsi à externaliser son wahhabisme contestataire ou subversif: faites le djihad, mais loin d´ici.

En tous les cas, le Djihad politico-militaire ou spirituel se justifiera toujours dans le rapport de l´islam au reste du monde, tant qu’un débat critique interne n’y voit pas le jour à son sujet. Dire que le Djihad est anachronique est une manière d´oublier trois choses consubstantielles à l´islam:

– comme toute religion, notamment monothéiste abrahamique, l´islam est déjà politique, par nature

–  les enjeux politico religieux du proche et moyen Orient, autour du lieu hautement symbolique qu´est Jérusalem, resteront longtemps valables et sources de conflit, tant que ces trois religions n´initient pas un dialogue critique inter religieux

–  deux des trois se sont illustrées par la conquête dans leur propagation chez les autres peuples, car la guerre constitue le principal mode d´expression et de la concrétisation de la domination, comme l´a si bien montré Michel Foucault, lorsqu´il écrit qu´ il faut concevoir la guerre comme analyseur de pouvoir.

Lorsqu´on se bat au nom de Dieu, la question sera de savoir quelle politique de la vérité est engagée. La politique de la vérité sous-tend toute propagation ou conquête du monde.

Epuisement politique du système démocratique et l’internationalisme des guerres théocratiques

Nous remarquons depuis 10 ans, ou plus, à l´émergence d´un monde multipolaire. Un monde multipolaire qui a eu tendance à la bipolarité qui met en scène les USA et la Chine. En fait, cette bipolarité a plutôt donné lieu, sous Donald Trump, au retour de l´unilatéralisme. Ainsi les alliances stratégiques politiques et culturelles notamment les USA et le reste du monde occidental en ont pris un coup dur.

Ce sont ces cassures qui expliquent l´intention de l´actuel président américain Joe Biden d´organiser un forum des démocraties du monde, pour redynamiser le modèle occidental par opposition au modèle autoritaire supposé incarné par certaines puissances comme la Chine, la Russie et leurs partenaires de circonstance en Afrique

Les démocraties cessent d´être une force morale alliée pour devenir un monde nombriliste á la faveur de l´unilatéralisme. Cette parenthèse, car l’actuel président des USA veut resauter ces alliances, a suscité un désintérêt ou un désamour du reste monde par rapport aux démocraties dont la vocation mondialiste ou internationaliste affaiblissait l’influence morale, culturelle et politique de la Chine. Elle garde cependant sa position économique et commerciale.

Il semble que l´unilatéralisme des dernières années des USA traduit l´affaiblissement du financement de la position d´empire. La conséquence sur les zones d´influence des USA, c´est la poussée des régimes autoritaires ou le recul de la démocratie qui se manifeste à travers:

  • Les démocraties sans alternance ou rythmées par le tripatouillage de la constitution, en vue de garder le pouvoir
  • Les dévolutions monarchiques du pouvoir dans les pays, qui commençaient pourtant, il y a 20 ans, à consolider leur processus démocratique
  • L´affirmation du primat du développementaliste qui serait plus approprié, par la notion d´Homme fort, au détriment de la combinaison intelligente et pacifique du politique et de l´économique.

A part cette dimension mondialiste, le nouveau capitalisme a affaibli les Etats. Les firmes internationales ont quasiment la même puissance financière que les Etats. Même si c´est en termes d´alliance entre marché et Etat que je les appréhende. Les opinions d´une bonne partie du monde pensent que c´est le marché qui est déterminant pour leur vie.

Alors, à quoi bon voter sans que cela n´ait d ´effet sur nos vies, mais que ce soit l´alliance marché Etat qui est déterminante? Au vu de cette évolution, faudrait-il procéder à la critique de la démocratie, car elle semble s´épuiser ou phagocytée par les forces du marché?

Epuisement de la démocratie et retour du religieux

Au même moment un autre internationalisme de nature politico-religieuse prospère, occupant ainsi une place importante dans les agissements des forces alliées dans l´ordre mondial. Cette parenthèse de l´éclatement des alliances occidentales et de leur influence a été aussi marquée par l´émergence en plique de l´autoritarisme et des hommes dits forts face à des démocraties qui apparaissaient de plus en plus fragiles mais aussi influencé par une certaine idée de l´Etat, de la Nation.

Je fais allusion à ce qu’est devenu l´Etat américain sous Trump, populiste et coupé du monde avec une vision conflictuelle du commerce mondial.

Certes, l´internationale salafiste précède la parenthèse Donald Trump, mais ce dernier a réinstallé le spectre de la guerre des religions, en ayant un parti pris politique et religieux. Ce parti pro israélien est lié á la forte influence des fondamentalistes évangélistes qui soutiennent l´idée selon laquelle Jérusalem doit être sous souveraineté israélienne.

Ce qui remet en cause le plan de deux Etats sur le dossier israélo palestinien. Le parti pris sincère de Trump et passant outre les codes diplomatiques est un carburant pour l´idéologie et le discours salafo-djihadiste.

Car l´internationale djihadiste salafiste a eu, dans sa structure idéologique, de retirer ou de rappeler le binôme Etat et religion «Adine Wa dawla» d’une part.  D´autre part, á confessionnalisme les relations entre peuples, entre Etats et la dynamique internationaliste.

«Le retour du religieux» qu´annonçait André Malraux et la guerre des religions qu’annonçait Samuel Huntington auraient beau être nié, je pense que, ne serait-ce que du point de la confessionnalisation des relations entre peuples, états, est une réalité. C´est dire que l´articulation des relations internationales, marquées par la guerre asymétrique ou le terrorisme, autour du religieux, est une donne qui accompagne les jeux de rapport de forces ou de défense des intérêts stratégiques.

La nouvelle guerre est évidemment asymétrique. De plus en plus asymétrique depuis le 11 septembre 2001. Elle intervient dans un contexte de réponse islamiste à la question palestinienne, mais aussi aux répressions théocratiques internes aux monarchies arabo musulmanes.

Certes les objectifs stratégiques du courant Al Qaeda était de briser ce que les islamistes appellent l´alliance judéo chrétienne contre l´aspiration du monde arabo musulman á la modernité devant aider á faire face à cette alliance.

Ils consistaient également en l´éradication des monarchies autoritaires au profit du Califat. Un Califat qui rompt avec la monarchie, mais aussi avec la République à l´Occidentale. Les formes d´état que prônent les salafistes sont, soit l´Emirat soit le Califat.

Le Djihad médiatique en Afrique au Sahel: les narratifs

Aujourd´hui, dans l´air des réseaux sociaux, de l´éclatement et du grand bruit médiatique, les médias Main Stream ont de plus en plus tendance à perdre leur centralité structurelle ainsi que l´unidirectionnalité qui caractérise leur fonctionnement.

Ils cherchent aussi à garder leur rôle en crise, en intégrant ces réseaux sociaux, du moins en s´y adaptant. Les réseaux sociaux, au vu de leur structure, de leur fonctionnement et du phénomène «d´inviduation» médiatique, ont une fonction plus d´influence, de propagande, de la création des subjectivations de masse. Du moins, ces fonctions médiatiques sont devenues apparentes.

Or, les critiques des médias comme Jean Baudrillard ou Lucien Sfez, ou encore Mac Lu, montrent bien que la logique de tout média consiste en ceci: production de sens – construction du réel selon le type de média en jeu; puis l´opération du faire faire, du faire croire de l´incitation. Aujourd’hui, tout cela s´appelle faire de l´influence ou le travail des influenceurs. C´est ce qui fait dire, à juste titre, à Gilles Deleuze qu´informer, c’est communiquer un mot d´ordre.

Les organisations politico religieuses, si l´on considère l´approche médiologique, ont usé d´une forte médiatisation au moyens des réseaux sociaux et de la nouvelle structure digitale qui offre toute sortes de contenus dans la vie des gens, des peuples, des systèmes culturels.

Le succès ou la popularisation, ou encore la massification des actes de djihad, le prosélytisme ont été possibles et larges grâce aux nouveaux types de médias. Les évolutions techniques en matière de communication, du télégramme au digital, ont une incidence qualitative sur nous, sur nos relations politiques et culturelles.

Tandis que les médias Main Stream tous puissants dans la construction du réel, il y a 20 ans, peinent à garder la crédibilité et l´audimat. Ce paysage médiatique éclaté et multiforme est très favorable à la dissémination, des narratifs proches du discours et de l´idéologie djihado-salafiste.

D´abord, ces narratifs consistent en la théorie du complot pour toute chose. Cette théorie du complot procède par effacement de celle perçue comme dominante. Les luttes ou les répressions politiques commencent toujours par le langage comme l´a montré Anna Arendt, par le corps selon Nietzsche. Toutes les civilisations ont leur mnémotechnique, pour reprendre une notion développée par Nietzsche, consistant à marquer les corps. La théorie du complot nie la réalité en la subjectivant, afin d´insuffler dans la réalité un tissu de croyances, de dogmes, de polémiques, voire d´illusions.

Dans la configuration actuelle des médias, chacun émet sa vérité dans un vacarme d´évidences et de croyances. Au point que l´on ne sait plus quel est le fait objectif, quels sont les critères de construction du réel, nécessaire pour le lien politique. Toutefois, ce grand bruit traduit la clameur des batailles dans la politique de la vérité.

Puis les narratifs se veulent récits sur les évènements qui marquent les guerres entre l´Occident et les mondes musulmans ou islamiques. Pour illustrer mon propos voici quelques exemples de narratifs concernant les conflits au Nigeria et dans le Sahel.

Au Nigeria, lors des débandes des forces de Boko Haram au Nord Cameroun, il est arrivé que les forces camerounaises tombent sur des armes de marque française. Alors le narratif qui s´articule à la théorie du complot consiste à affirmer de façon péremptoire que, comme ce sont des armes de marque française, on a là la confirmation de l´idée selon laquelle, le conflit est provoqué et entretenu par l´Occident pour préserver ses intérêts notamment pétroliers donc stratégiques. Il y une association dans le narratif entre le factuel et la généralité analytique sur les questions géostratégiques.

Or, on oublie dans ce type de narratif deux choses:

1- le Nigeria est l´un des principaux clients des entreprises de ventes d´armes françaises

2- les forces de Boko Haram avaient, entre 2010 et 2015, attaqué plus de 100 cantonnements de l’armée nigériane dans le Nord-est du Nigeria.  Durant cette période, le rapport de forces leur était favorable.

Elles avaient aussi dévalisé pas moins de 100 coffres des banques, au point même parfois de distribuer les billets de banques aux populations, lors de leur retrait des villes. Ces phénomènes se sont passés dans un contexte de rapports de forces défavorables à l’armée nigériane.

Au Mali, les réseaux sociaux sont inondés sans nuance par le narratif suivant. Le conflit et l´insécurité au Nord du pays et au centre et même au Sud de Bamako sont les faits de la France. On se dédouane en refusant de reconnaitre ses responsabilités

Et si les djihadistes opèrent et déstabilisent le pays, c´est parce que les Français l´auraient voulu. Car, comment peut ont avoir une présence d´autant de forces sans parvenir à éradiquer le terrorisme. Et cette attitude supposée de la France a pour arrière fond, la préservation des intérêts stratégiques, à savoir les minerais précieux comme l´uranium ou d´autres richesses non encore exploitées dont recèle le Sahel.

Ce qui expliquerait le refus de la France de voir les FAMA revenir à Kidal. Comme les réseaux sociaux visent plus à influencer qu’à informer objectivement, l´effet de ce narratif, c´est, entre autres, de construire une opinion paradoxalement favorable au plan de communication des djihadistes.  Elle manifeste contre les partenaires militaires de l´Etat dont les forces tombent chaque jour sur le champ de bataille, au lieu de manifester contre celui qui les tue: le djihadiste.

Les élites djihadistes du centre Mali jubilent lorsqu´elles voient l´opinion malienne s´en prendre à la France pourtant partenaire des autorités maliennes. La preuve, c´est le communiqué de Iyad Ag Ali datant de quelques semaines criant victoire suite à l´annonce de la fin de l´opération Barkhane dans quelques mois. Même s´il se méprend sur le sens de la fin de Barkhane, son coup de com. aura certainement un effet sur la situation conflictuelle.

Il y a dans ce narratif un déni de la réalité qui cache mal les faiblesses des FAMA qu’on ne veut pas avouer, mais aussi, quelque chose de psycho politique. Á savoir que, certes, «nous vous critiquons vous Français, mais au fond, on souhaiterait que vous teniez votre promesse faite lors de l´opération Serval».

Ainsi, le narratif glisse encore vers la théorie du complot qui signifie dans l’exemple malien, «on laisse le chaos régner pour mieux nous installer en vue des richesses du Mali. Des richesses qui seraient d´ailleurs en cours d´exploitation sous les bombes. Le chaos recherché vise à se donner une raison de travailler à la partition du Mali».

Alors lorsqu´un jour, au détour d´une discussion houleuse, j´ai posé la question de savoir si ce sont donc les Français qui auraient commandité les attentats de Bamako, de Ouaga et de Abidjan où leurs ressortissants seraient morts, pour sauvegarder leurs intérêts dans le Sahel au nom de la lutte contre le terrorisme, mes amis ont instinctivement réalisé que c´était absurde, car la France aurait recouru au terrorisme pour sauvegarder ses intérêts dont certains le sont depuis plusieurs décennies.

La France a-t-elle vraiment besoin d´autant d´instabilité très couteuse pour juste sauvegarder ses intérêts matériels ou géostratégiques? N´est pas le contraire qui serait moins idiot?

Le narratif sur la chute de Kadhafi-éclatement des conflits au Sahel 

Je ne vais pas m´attarder sur les enjeux géostratégiques de l´opération combinée entre insurgés libyens et les occidentaux. Mon propos portera sur le lien entre cette chute et les conflits dans le Sahel.

Il est important de noter que dans les années 1990, le défunt président malien, Amadou Toumani Touré (ATT) avait obtenu un accord avec les rebelles touaregs sous les auspices de la Libye. Grace à cet accord et à la forte implication de Kadhafi en vue de la résolution du conflit, des Touaregs ont migré en Libye, y trouvant du travail y compris dans la légion islamique, créée pour avoir un poids et une influence géostratégique dans le Sahel.

Certes les forces françaises avaient dissuadé les éléments touaregs de l´armée ou de la légion islamique de supporter Kadhafi, lors des quelques semaines de résistance. Il faut rappeler que les populations noires libyennes, ainsi que des Touaregs de légion islamique se sont battus aux cotés de Kadhafi. Le président Amadou Toumani Touré ATT se contentait, pendant des années, du fait que son ami Kadhafi avait su garder ses rebelles, les calmer, les utiliser à son propre compte.

De même, selon les accords de paix des années 1990, il fallait démilitariser le Nord, notamment les régions habitées en majorité par les Touaregs notamment Kidal. Cela signifie la démilitarisation des zones rebelles touarègues, absence de l´Etat, d´une de ses instituions essentielles. Cet arrangement entre ATT et les rebelles ne précisait rien au sujet du statut administratif ou politique des zones rebelles. Un flou politique existait au sujet des rebellions dont la résolution n´était que superficielle.

Avec la chute de Kadhafi, les ex rebelles ne pouvaient que rentrer chez eux, leur parrain étant tué et les largesses ou la protection qu’ils avaient subitement volé en éclat. Il faut dire que dans les vagues de retour, il y avait aussi les ex rebelles nigériens.

Il est important de préciser que ceux des Maliens ou Nigériens qui étaient rentrés, leur mouvement n´aspirait pas tant à l’instauration de théocratie qu´à la création d’Etats indépendants ou de territoire jouissant d´une large autonomie. Au Mali, à leur retour, ils ont mis en place le MNLA ou ont réactivé l´ancien mouvement rebelle, tout en étant armés. Tandis que les ex rebelles nigériens furent soumis à un désarmement systématique par les autorités nigériennes. Le MNLA qu’ils ont mis en place avait proclamé la république de l´Azawad, avec comme base Kidal.

Or, au cours des 15 ans précédents, les régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal avaient impunément servi de refuges ou replis aux islamistes algériens. Ce repli ou cette profondeur stratégique qu´ils ont trouvé dans ces vastes régions du Mali est le résultat de la forte pression du général Lamari sur les djihadistes de GIA.

Presque au même moment, la Mauritanie traversait aussi des moments sanglants de terrorisme, visant les occidentaux plus que les nationaux. La forte réponse de l´Etat mauritanien acculait aussi les djihadistes dans la forêt de Wagadou.

Face à cette donne militaire, l´Algérie et la Mauritanie avaient plusieurs fois interpelé le président ATT afin de mettre en place une coopération forte pour lutter contre les djihadistes. La réponse que ATT donnait était la suivante: «Tant qu’ils n´attaquent pas le Mali je ne leur ferai rien».

Outre ce laxisme, ces régions du Mali était sous influence idéologique et financière du mouvement Dahwa, de Kadhafi. Dans l’idylle diplomatique entre ATT et Kadhafi, les djihadistes, y compris le courant Dahwa venant du Pakistan et de l´Afghanistan, se mariaient avec les autochtones, développaient une économie parallèle, aggravant ainsi la contrebande de toutes sortes qui se faisaient entre l´Algérie, la Libye et le Mali.

Cette économie parallèle est antérieure à l´arrivée de nombreux djihadistes venant principalement de l´Algérie. L´arrangement entre ATT et les rébellions touarègues comportait aussi l´acceptation d´une économie de contrebande, pourvu que cela contribue à calmer les ardeurs touarègues.

Au cours de toutes ces années jusqu’à nos jours l´Algérie et la Mauritanie pourraient se targuer d´avoir poussé loin leurs djihadistes. Y compris en se montrant complices ou laxistes face à l´épouvantail qui s’éloigne de ses frontières. Toutefois, dans le chaos malien, dans les forces qui se battent au Sahel, l´Algérie et la Mauritanie détiennent leur carte tactique au sein des groupes en conflit. C´est une loi qui préside à toutes les guerres faites d’alliance et de mésalliances.

La vague d´anciens rebelles membres de la ligue islamique de Kadhafi qui étaient sécularisés, car leur défunt parrain était hostile à la théocratie que veulent instaurer ses ressortissants revenus de l´Afghanistan, se sont plusieurs fois heurtés aux djihadiste d´Ansar dine de Iyad ag Ali, bien qu´ils soient issus du clan des Ifogas.

Mais ces heurts n´empêchaient nullement un jeu de va et vient entre les groupes djihadistes et le MNLA devenu composante de la CMA, suites aux accords d´Alger. Dans l´ethnie touarègue de cette région, il existe deux grands clans, Ifogas et Imgad. Les premiers s´estiment supérieurs plus nobles que les Imgad et encore les Bella, leurs anciens ou actuels esclaves.

Lorsqu´il s´agit, pour le Mali, de combattre la CMA ou les djihadistes, ce sont en majorité des Imgad qui étaient enclins à combattre, tandis que la France a obtenu plus d´alliance de la part des Ifogas, pour combattre les djihadistes.

A l´issue de nombreux clashs pour occuper les terrains, les djihadistes en sont venus à bout, obtenant d´importants butins de guerre, notamment des armes venues de la Libye dans les pick-up des anciens rebelles gardés par Kadhafi. Si bien que militairement, ce sont les combattants de Ansaru dine qui dominaient jusqu’ à ce que l´opération Serval vienne changer la donne.

Pendant que le MNLA tenait à l´indépendance de l´Azawad, les djihadistes s´opposaient à la partition du Mali. Car, au-delà du Mali, c’est une bonne partie des Etats du Sahel qui étaient la cible du djihad politique. Après avoir obtenu du conseil de sécurité de l´ONU grâce à la France, un déploiement de la Minusma, donc une internationalision de la question touarègue, le choix stratégique des Touaregs est de s´allier avec Serval, se rendant ainsi utiles sur le plan sécuritaire. Quelle est la contrepartie? Mystère!

Du coup, sous la garantie de la France, au nom de l´ONU et de sa résolution, le MNLA et d´autres mouvements du Nord arabe et touareg ont obtenu de Bamako un texte d’accord, devenu aujourd’hui problématique. Certains Maliens le percevant comme un piège, d´autres devant être relus, d´autres encore devant être tout bonnement ignorés. De toutes les façons la France a toujours crié haut qu´elle ne soutient pas le projet indépendantiste touareg.

Mais son alliance, y compris dans les combats, dans le renseignement, dans la connaissance du terrain et des populations (la CMA sur le front du Liptako Gourma par exemple) la rend ambiguë. Comme tous les autres acteurs du conflit, elle a sa carte tactique, qui n´est pas loin des mouvements séparatistes appelés anciens rebelles touaregs.

Car on est en droit de se poser la question suivante: y- a-t-il une promesse de la France faite aux Touaregs? Peut-être que, ce serait le texte d’accord avec un statut spécial des territoires touaregs et arabes? Ou la régionalisation avec l’affirmation forte de la spécificité touarègue?

Parmi les migrants touaregs on peut donc voir que ceux du MNLA étaient indépendantistes et ceux qu’ils ont trouvés sur place avaient une ambition djihadiste sous régionale. Là où le lien entre la chute de Kadhafi et l´éclatement du conflit entre MNLA et Ansaru dine ou entre les groupes touaregs et l’Etat malien, parait incontestable. Mais ce n’est pas dans la création des mouvements djihadistes. Le fait que les migrants ont beaucoup puisé des armes dans l’armurerie de Kadhafi, permet d´établir un lien, mais de nature matérielle et logistique.

De même, le lien est valable pour les armes venues de la Libye ou tout le monde a puisé. Donc le cœur du narratif consistant á établir un lien n´est pas de nature idéologique ou politique.

Ceux qui développaient ou préparaient le djihad depuis 15 ans n´attendaient que le flot d´armes, pour s´assurer d´une conquête du Sahel. L´idée de conquête et le Djihad était là dans le Nord du Mali, 15 ans avant la chute de Kadhafi. Des pratiques salafistes aussi, des réseaux et des recrutements se faisaient discrètement le long de la frontière du Mali avec l´Algérie et la Mauritanie.

Or, le narratif mêlant théorie du complot et récits circulant dans les réseaux sociaux se structure comme suit:

– le MNLA et Ansaru dine sont considérés comme similaires

– c´est la chute de Kadhafi qui a créé le terrorisme dans le Sahel, ignorer le terme djihadiste au profit de terrorisme n’est pas fortuit

– la France entretient le conflit pour exploiter les richesses du Mali

– alors même que les Français opèrent en grande partie avec les FAMA…

Alors, La question qui se pose est la suivante: pourquoi la France aurait-elle besoin d´être complice des attentats contre ses ressortissants dans les hôtels à Ouaga et à Abidjan ou à Bamako, pour déstabiliser le Sahel en vue d’avoir la main sur nos minerais? Alors même qu’elle dispose des leviers plus soft et plus rentables, comme la monnaie CFA, ou les moyens techno militaires dont les Sahéliens ne se sont pas encore affranchis?

Mieux, a-t-on encore besoin du chaos constructif pour sa prospérité et celle des partenaires, lorsqu’ on sait que le commerce qui en est le facteur principal est devenu une doxa mondiale.

Autrement dit a-t-on besoin plus de paix pour profiter des pauvres, si tel est le cas, ou de chaos dont le cout pour l´enrichissement est énorme? Quelle absurdité!  Les narratifs semblent souvent ne pas faire preuve de rigueur face à ces absurdités. Si bien qu´on perçoit facilement en eux des traces schizophréniques, qu´on est, par ailleurs, tenté d’attribuer aux puissances taxées de complot contre l´émergence socioéconomique du dominé africain.

A suivre…

Docteur Ahmed Apakena DIEME-SASCOM Bonn

*Le titre est de la rédaction