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Soudan: le pays où tout sonne faux!

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(Ph. AFP)

Faut-il croire au revirement à honteux des militaires soudanais qui, après l’odieuse tuerie du lundi 3 mai et les exactions que continuent de subir les populations, annoncent vouloir reprendre le dialogue avec les civils? Pourtant, ils ont prononcé la mort de ces négociations et balayant du même coup tous les accords auxquels ils étaient parvenus sur la route qui devrait conduire le Soudan au changement démocratique, après trois années de transition. Soit les pressions et condamnations internationales ont produit leurs effets ou alors il faut s’attendre à une nouvelle ruse de la part de l’armée, bien déterminée à ne pas rendre le pouvoir aux civils. Pour l’instant, l’armée a bien réussi son coup en délogeant les insurgés, par milice interposée et en instaurant la peur au sein de la contestation. Certes, les manifestants soudanais qui pleurent plus de 35 morts dans leurs rangs ont également promis d’aller jusqu’au bout de leur campagne de salubrité anti-Béchir. Retourneront-ils sous l’arbre à palabres avec des militaires qui ont toujours le doigt sur la gâchette? Qui plus est, le déficit de confiance sera très difficile voire impossible à combler. Il faut le dire sans risque de se tromper, les insurgés, résolus à ramener le Soudan dans une ère de liberté et de démocratie ont été trahis par l’armée et la police qui s’étaient rangés à leurs côtés pour destituer, le 11 avril 2019, Omar el-Béchir qui a tenu pendant plus de trente ans, le pays d’une main de fer. Mais le rêve est bel et bien en train de virer au cauchemar car les hommes en kaki n’ont visiblement aucune intention de rendre le pouvoir aux civils.

Du un pas en avant, deux en arrière, le dialogue est désormais mort. Et le ressusciter ne sera point chose aisée. Surtout que les généraux qui ont repris du poil de la bête avec le soutien inconditionnel de l’Arabie Saoudite et du Maréchal Al-Sissi, patron du syndicat des chefs de l’Etat, baptisé «Union Africaine», ne sont pas prêts de désarmer. Le transfert du pouvoir aux civils est maintenant en pointillés au Soudan. Surtout que l’armée, accrochée à son noir dessein de faire main basse sur un pouvoir qui ne lui a jamais échappé en réalité malgré la chute du régime de fer de Béchir, a annoncé la tenue des élections dans neuf mois. C’est la façon la plus facile et la plus rapide pour les militaires de mettre fin au printemps de Khartoum et de perpétuer le règne de Béchir, sans Béchir. Les militaires ont donc tombé le masque, confirmant leur stratégie initiale de sacrifier Béchir pour garder le gouvernail bien en main. Les militaires ont désormais tombé le masque et les civils, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC) en tête, sont contraints de revoir leur copie, et surtout d’affiner leurs méthodes de lutte pour rameuter les troupes et espérer contrer efficacement les velléités des militaires. Mais ce sera une autre paire de manches parce que l’union est loin d’être totale au sein des civils. Les politiques ne parlent pas le même langage, en témoigne la position de l’historique parti d’opposition al-Oumma, dirigé par l’ancien Premier ministre Sadek al-Mahdi et membre de l’ALC, qui s’était désolidarisé du mot d’ordre de grève générale de deux jours de la fin du mois de mai.

L’opposition après la dispersion violente et sanglante de la manifestation, l’ALC et l’opposition sont loin de baisser les bras. D’où la grève générale et le mouvement de désobéissance civile lancée ce mardi. Dans ce rapport de forces qui ne penche pas forcément en leur faveur, les manifestants vont-ils tenir le coup et mener la «révolution» pour le changement à bon port? En tout cas, tout sonne faux dans ce Soudan post-insurectionnel.

Par Wakat Séra