Accueil A la une Personnes accusées de sorcellerie: «des situations intolérables» au Burkina (Me Pacéré)

Personnes accusées de sorcellerie: «des situations intolérables» au Burkina (Me Pacéré)

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Me Frédéric Titinga Pacéré, homme ressource dans la lutte contre l'exclusion des femmes

Le Naaba Panantougri de Manega, Me Frédéric Titinga Pacéré, un homme averti sur la question de l’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie, réagissant sur l’épineuse et complexe préoccupation des personnes, surtout âgées, accusées de mangeuses d’âme, a affirmé qu’au Burkina Faso, «nous avons situations intolérables». Dans cet élément, le premier avocat du Burkina, auteur de plusieurs écrits sur la sorcellerie, apprécie sous divers angles le phénomène qui perdure malgré les multiples plaidoyers menés par des ONG dont «Voix de femmes» pour le combattre. Pour l’avocat de la veuve et de l’orphelin, sur le plan de la justice, «vous ne pouvez pas faire une loi qui puisse satisfaire» la société moderne et celle dite traditionnelle ou africaine.

La complexité de la définition de la sorcellerie…

Qu’est ce que la sorcellerie ? Sur cette question, sans jambages, Me Titinga Pacéré répond sans détours que « la sorcellerie est assez complexe. Dire que la sorcellerie existe c’est possible. Dire qu’elle n’existe pas, c’est aussi possible. Il faut seulement être prudent parce qu’il y a des comportements inexplicables, des cas insolites », a fait comprendre le Naaba de Manéga, dépositaire de savoirs coutumiers, notamment Moaga. Mais, pour l’homme de droit, de nos jours, sur le sujet de l’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie, il y a beaucoup d’exagérations. « Comme je l’ai dit, on ne dit jamais que la mère d’un roi est sorcière. Il y a des comportements exécrables du fait de la sorcellerie. On n’accuse que les pauvres personnes vulnérables et sans défense. En dehors de ça, on n’a beaucoup d’éléments irrationnels », a-t-il soutenu son point de vue, précisant que la sorcellerie, « c’est des pratiques avec le mal qu’on met en exergue pour pouvoir tuer et faire du mal ».

Le livre de Dim Dolombson traitant de la sorcellerie, en manque au Burkina

A en croire le Naaba Panantougri de Manéga, la sorcellerie était étrangère en Afrique. « Le sorcier africain ne vient pas de l’Afrique. Pour l’origine, il y avait à l’époque, des mages Zoroastriens qui existaient six siècles avant Jésus Christ. Ces mages faisaient des prodiges. Et ce sont ces prodiges qu’on a fini par appeler la magie. Mais avec le temps, la magie a fini par avoir une double connotation. La magie blanche, celle qui permet de soigner les malades, ce que nous (les Africains) appelons la pharmacopée. La magie noire, est celle qui permet de tuer l’Homme », a-t-il signifié. « Et, c’est cette magie noire qui a fini par être fortement sexuée, et appelée la sorcellerie », a-t-il poursuivi, notant que les sorciers de l’Occident avaient même un serment. Pour lui, il est clair. « C’est la magie noire qui est appelée sorcellerie. Ce sont les blancs qui ont envoyé la sorcellerie en Afrique. La sorcellerie africaine vient de l’Europe et de l’Occident », a-t-il insisté.

Les dossiers difficiles gérés par Me Titinga Pacéré, témoignages

Me Titinga confie qu’il a eu affaire à plusieurs dossiers assez singuliers, assez délicats. « Un de mes dossiers, à Manga, concernait une femme qui a accouché et son bébé est mort. On dit que c’est elle qui a mangé le bébé. On l’a prise avec les femmes de la cour pour aller dans la zone de Yako où il y a un monsieur qui s’appelle Wéléndé. Mais les Mossi l’appellent Wélg-Yélé en mooré qui veut dire celui qui déballe les problèmes. Et c’est lui qui détecte les sorcières. Arrivé, ce monsieur prend une coque de noix de karité et enlève un liquide et donne aux personnes accusées de boire. Si tu es sorcière, il y aura des manifestations. La pauvre dame a bu et a été prise de malaise, perdant presque la tête, et donc on a conclu que c’est elle qui a mangé son propre enfant », a narré Me Pacéré.

Il poursuit : « Vous imaginez cette femme qui vient d’accoucher, qui a quitté à pieds de Manga à Yako (environ 200 Kilomètres). Ne serait-ce que ça, c’est grave. Nous avons des situations intolérables, la sorcellerie. Et, hélas, on la retrouve sur tout le continent ».

Le Code pénal 2018 du Burkina

Réputé être une personne ressource dans le combat de l’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie, Me Frédéric Titinga Pacéré a fait le Gabon où il a accordé beaucoup d’émissions sur la magie et la sorcellerie. « Tellement de questions m’ont été posées au Gabon qu’à la fin, pour trouver des solutions ou faire des propositions, dire ce que je pense de la magie et de la sorcellerie, j’ai fini par faire des fascicules », a-t-il affirmé.

Me Pacéré se dit conscient que les mauvaises langues disent qu’il est un sorcier et des gens viennent négocier avec sa secrétaire pour prendre rendez-vous avec lui en termes de consultations pour trouver des solutions à leurs problèmes liés à la vie de couple ou à leurs activités commerciales et autres. « Chose que je refuse. Qu’on dise ce que l’on veut sur Me Pacéré, je sais qui je suis, les pratiques, je n’en fais pas. Je suis contre la pratique de la sorcellerie ou de la magie, mais j’ai fini par être intéressé comme tout le monde. J’ai appris auprès de certaines personnes qui maîtrisent ce savoir. Et c’est pour cela que j’ai prononcé des conférences sur Africa n°1 et accordé beaucoup d’émissions en son temps et qui ont été diffusées à plusieurs reprises sur des chaînes nationales et internationales. En Côte d’Ivoire, j’ai aussi accordé beaucoup d’émissions sur la magie et la sorcellerie », a-t-il signifié.

Difficulté d’avoir une loi pour combattre la sorcellerie

De par son développement ci-haut, Me Frédéric Titinga Pacéré pense qu’« on ne peut pas faire une loi qui puisse satisfaire » la société moderne et la société traditionnelle qui compose le peuple burkinabè actuellement. Après avoir été invité par le Conseil économique et social (CES) pour une réglementation du phénomène puisque les femmes, les vieilles souffrent beaucoup du phénomène, il leur a dit clairement qu’on ne peut pas faire une loi contre la sorcellerie. Mais, selon ses propos, seulement, il faut passer par une voie détournée via le Code pénal, pour réprimer et en vue de freiner le fléau.

Une vue de site d’hébergement de la Paroisse de Yako

« Les gens vont chercher le sorcier comme on le dirait. Siyongo, c’est le fétiche. On l’amène et ce féticheur dit que c’est un tel qui a mangé l’enfant et on chasse la pauvre. Elle va vers les OPJ et se plaint. On vient arrêter le féticheur considéré comme le bienfaiteur de la société. C’est lui qui exorcise le milieu. Donc la société tient à le protéger. C’est lui la victime. Même si on le met en prison, la société l’aide à cultiver son champ, aide sa femme et ses enfants pour leurs besoins. Et quand il sort, il retrouve le milieu et peut recommencer à vivre sa vie d’antan et même recommencer à détecter des sorcières », a expliqué le fondateur du Musée de Manéga situé au Centre-nord du Burkina Faso.

Pendant ce temps, la société moderne, elle protège la sorcière considérée comme la malfaisante dans le milieu, celle-là que la société veut bannir de ses rangs. « La pauvre qu’on a chassée, elle ne peut plus retourner au village. On va la tuer. Ce qui fait que le sorcier de la société traditionnelle, n’est pas le même que celui de la société moderne », a-t-il continué son explication.

C’est pourquoi, il a salué le Code pénal de 2018 qui consacre certaines de ces dispositions à décourager l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie. « Contre les violences exercées à l’endroit des hommes et des femmes, le Code a créé un chapitre sur l’accusation des femmes pour fait de sorcellerie et sanctionne », a-t-il précisé, demandant l’implication de tous les acteurs intervenants dans ce combat, pour décourager le phénomène.

L’histoire de la création de certains centres sociaux notamment le Homme Kizito et Delwendé relatée par Me Pacéré

Selon la narration du premier Bâtonnier du Burkina, c’est quand il est revenu au pays en 1973 que le cardinal Paul Zoungrana, qui était admiratif de ses œuvres professionnelles et sociales bien appréciées par l’opinion nationale, l’a appelé afin qu’il l’aide dans cette œuvre. « Le cardinal Paul Zoungrana a dit que nous avons des villages qui depuis leur existence n’avaient pas de jumeaux. Dès que des jumeaux arrivent, les vieilles matrones sortent dire aux vieux qui attendaient qu’ils sont venus mais ils sont partis. C’est une formule pour dire que ce sont des jumeaux. Cela voudrait dire que ces enfants sont morts alors que non. Elles attendent la nuit, elles partent creuser sous une termitière où elles les mettent pour que les termites les mangent. Quand un enfant nait et que sa mère meurt, on enterre cet enfant-là vivant avec sa mère. On dit que cet enfant a mangé sa mère », a expliqué l’écrivain et homme de culture.

C’est ainsi qu’il a eu à s’occuper de beaucoup d’enfants du genre. Et le cardinal Paul Zoungrana a récupéré de tels enfants et a créé le Home Kizito. « Ce qui fait jusqu’au jour d’aujour’hui, je suis le parrain du Home Kizito. Il y avait aussi les handicapés et les aveugles de l’ABPAM dont le siège était à Koubri. J’en suis le co-parrain avec le Professeur Diarra, un kynésie thérapeute décédé, il y a quelques années », a déclaré le sage de Manéga.

C’est ainsi également que le cardinal Zoungrana lui avait aussi signalé le cas du centre Delwendé de Tanghin (en son temps) qui accueillait 350 vieilles personnes dites sorcières. « Quand je suis arrivé au pays on avait des situations comme ça, des problèmes des droits humains et sur certains angles, c’était difficile. Je signale que dans le temps, pendant mes travaux, une dizaine de femmes se pendaient chaque mois dans le Passoré dont le chef-lieu est Yako. Et le drame, certains enfants de ces dernières participent même à leur torture », a déploré l’avocat.

Par Bernard BOUGOUM