Accueil Opinion Situation au Mali: «Au-delà des anathèmes et de l’hystérie»

Situation au Mali: «Au-delà des anathèmes et de l’hystérie»

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Le président en exercice de la CEDEAO le Ghanéen Nana Akufo-Addo (à droite) et le Malien Assimi Goïta (Ph. d'archives)

Ceci est le point de vue de l’universitaire et professeur titulaire d’Histoire des relations internationales, Moritié Camara, sur la situation qui prévaut au Mali.

Lorsqu’on veut soigner et guérir une plaie afin d’éviter qu’elle ne s’infecte et n’entraine une gangrène ou une septicémie fatale, on ne se contente pas de la recouvrir uniquement d’un sparadrap.

A bien des égards, c’est cette solution que certains pour des raisons diverses, exprimées ou non exprimées, souhaitent pour le Mali. Faire remarquer cela, vous condamne à être taxé d’anti ceci ou cela, sans prendre en compte le fait qu’il est parfaitement possible d’être opposé aux idées d’une personne sans être opposé à cette même personne.

Malheureusement, c’est sous ce prisme que sont structurés les débats publics sous nos cieux. Toute chose qui explique que la parole intelligente soit très souvent absente de la sphère publique car craignant cette hystérisation systématique de la moindre problématique qui exige pourtant des analyses sereines, froides et objectives permettant de comprendre de quoi il est question. Nous pouvons ne pas être d’accord avec une situation, mais cela ne nous interdit pas d’accepter qu’elle existe.

Ne souhaitant pas entrer dans une arène conditionnée par la logique des amalgames cultivés par ceux qui parlent de ce qu’ils ne savent pas et interdisent à ceux qui savent de le faire, nous choisissons librement de ne pas suggérer notre opinion sur la nature des sanctions que la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) viennent de décréter contre le Mali afin d’amener à composition les autorités de ce pays.

Il ne s’agit nullement de fuir un débat, mais de privilégier ce qui est important, à savoir la réalité objective que vivent les Maliens depuis près de deux décennies maintenant, sur ce qui l’est moins, à savoir le jugement qu’ont les voisins du Mali sur les faits en cours dans ce pays,s depuis le confort de leur éloignement du théâtre des évènements. Chacun pourra ainsi se faire sa propre opinion en ayant connaissance de tous les éléments décisifs de la séquence en question.

L’élément primordial qu’il faut avoir en tête, est que les problèmes auxquels le Mali est confrontés sont avant tout structurels et cela à tous les niveaux, et non conjoncturels.

Dès lors, pour peu que l’objectif des autorités maliennes et internationales est de les résoudre, il importe non seulement de tenir compte de cette réalité mais et surtout de remonter à leur généalogie et à les envisager dans leur globalité et leur interdépendance. Toute chose qui doit avoir pour vertu de privilégier les solutions durables et de fond sur les meurettes consistant à cacher la plaie avec du sparadrap.

Sans aller dans les tréfonds de l’histoire, on peut remonter à la colonisation pour débuter la relation d’une partie de l’équation à laquelle le Mali doit faire face actuellement, à savoir la question des revendications des Touaregs de la région nord du pays connue sous le nom de l’Azawad. Cette région est conquise par la France à l’extrême fin du 19e siècle et incorporée au Soudan français (ancienne appellation du Mali).

Cependant dès 1957, les notables maures et touaregs qui sont arabophones et de peau claire, avertissent l’administration coloniale qu’ils ne souhaitaient pas faire partie du processus de décolonisation au sein du Soudan français car n’ayant aucun attribut commun avec les populations subsahariennes et demandent expressément leur intégration au Sahara algérien. Cette demande est réitérée par courrier en 1958 au Général De Gaulle qui choisit de l’ignorer.

La première rébellion de l’Azawad intervient en 1963 et est durement réprimée par l’aviation malienne. Il faudra attendre 1990 pour que cette partie du pays se signale encore avec la création du Mouvement populaire de libération de l’Azawad.

Deux accords de paix seront signés entre les autorités de Bamako et les rebelles, notamment en 1991 et 2006 à Alger. Le dernier accord, celui d’Alger signé en deux temps, d’abord le 15 mai 2015 par le douvernement malien, l’Algérie, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria, le Tchad, la France, la CEDEAO, l’ONU, l’UE, l’UA et l’OCI et ensuite le 20 juin 2015 par la Coordination des Mouvements de l’Azawad soumise à de fortes pressions politiques, diplomatiques et militaires, a plus consisté à mettre du sparadrap sur la plaie que d’essayer de la soigner et la guérir.

En effet, cet accord ne satisfait ni le gouvernement malien qui murmure que cela constitue une partition de fait du pays, ni les différents groupes de l’Azawad dont il ne prend pas en compte les principales revendications. Il faut souligner que la question touarègue ne concerne pas que le Mali, mais également le Niger. C’est un peu comme la question des Kurdes dispersés entre plusieurs pays du Moyen-Orient et la Turquie.

La question du nord devient un véritable casse-tête pour les autorités de Bamako lorsqu’en plus des indépendantistes de l’Azawad, elles ont vu s’y installer les combattants islamistes, reliquats de la guerre civile de 10 ans qui a ébranlé l’Algérie entre 1991 et 2002. Comme des compagnons de cellule, ces derniers vont s’entendre et s’entraider avec les indépendantistes et d’autres hors- la-loi pour chasser l’Etat malien de toute la zone septentrionale du pays où ils règnent désormais en maitres absolus et commettent prises d’otages contre rançons et toutes sortes de trafics juteux notamment de drogue, de cigarettes, des armes et d’êtres humains.

C’est cette coalition hétéroclite désignée insidieusement «djihadsite», renforcée par des combattants ayant fait le coup de feu en Lybie pour le compte de Kadhafi, qui lance le 17 janvier 2012 une fulgurante offensive contre les forces armées du Mali et manque de peu de prendre la capitale Bamako en quelques semaines.

C’est donc pour aider l’Etat malien à reconquérir les zones perdues que la France dit avoir répondu à l’appel de ce dernier en 2013 à travers l’opération Serval aujourd’hui Barkhane.

A l’époque déjà, les commentateurs avaient pointé du doigt le Président Amadou Toumani Touré, l’accusant d’avoir laissé sciemment pourrir la situation pour s’en servir politiquement, les insurgés faisant office d’ennemis utiles. D’ailleurs, c’est cette raison qui sera évoquée par le capitaine Sanogo pour justifier son coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré, le 22 mars 2012.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, son successeur élu démocratiquement, Ibrahim Boubacar Keita, sera lui aussi arrêté par l’armée poussée dans le dos par une population excédée par la situation du nord et par le grave déficit de gouvernance du pays, le 18 aout 2020.

Les militaires manifesteront leurs bonnes dispositions en acceptant de confier, sous l’insistance de la communauté internationale, la transition à un exécutif dirigé par deux civils avec pour feuille de route une Charte définissant les prérogatives de chacun et un calendrier pour un retour à une situation constitutionnelle légale.

Les choses ne se passeront pas comme prévue, car le président et le Premier ministre vont délibérément violer les dispositions de la Charte en outrepassant leurs prérogatives à travers un remaniement ministériel inopportun, mettant sur la touche deux notables militaires du gouvernement. En réaction ces derniers ont décidé de reprendre la main, causant la colère de la France puis de la CEDEAO.

La raison de cette brusque et inattendue évolution est à rechercher dans la volonté des militaires maliens de solliciter les services de la société militaire privée Wagner qui a déjà aidé l’Etat Centrafricain à asseoir son empire sur la quasi-totalité de son territoire alors même qu’il n’en contrôlait à peine que 15%.

La France qui est engagée militairement au Mali depuis 2013 avec plus de 5000 hommes, peine à neutraliser les insurgés qui font régulièrement des morts dans les rangs de l’armée et de la population malienne et qui se sont exportés au nord du Burkina Faso et au Niger, faisant régner la mort notamment dans la zone dite des trois frontières.

Les autorités maliennes séduites par la situation de la Centrafrique ont opté pour la même solution. Mais la France qui a été sortie contre son gré de l’équation centrafricaine, refuse de se voir marginaliser également au Mali par la même société de sécurité dirigée par un proche du président russe, Vladimir Poutine.

La privatisation est pourtant avec son caractère asymétrique la nouvelle réalité de la guerre depuis plusieurs décennies. En Irak, les mercenaires convoyés par les sociétés militaires privées constituaient le second contingent des forces étrangères présentes dans ce pays aux côtés des Américains avec quelques 120 000 hommes. Les Maliens n’ont donc rien initié.

Cependant, les dirigeants français (le président et ses ministres des Affaires étrangères et des Armées) ne s’interdiront aucune surenchère pour empêcher que les «mercenaires russes» ne prennent pieds au Mali. La brutalité et la détermination de cette croisade explique, mieux que le Coup d’Etat lui-même, la tournure qu’a prise aujourd’hui la question malienne.

Tous les universitaires africains gardent également à l’esprit les soubresauts qui ont secoué la revue «Afrique contemporaine» en mars 2019, suite à la suspension d’un dossier sur le Mali ordonné par les responsables de l’Agence Française du Développement (AFD), car donnant une version de l’histoire non conforme à la leur, déclenchant ainsi la démission du rédacteur en chef et d’une partie du conseil scientifique, tout en occasionnant la mort cérébrale de cette publication créée en 1962.

Il est donc évident que le Mali tient une place importante dans l’agenda des autorités françaises. L’enjeu actuel pour la France est donc de se débarrasser au plus vite de cette junte militaire peu accommodante et sur le point d’ouvrir le pays à la Russie alors que pour les colonels au pouvoir à Bamako, il est question de traiter à la source les problèmes structurels et de sécurité qui perturbent la quiétude des Maliens depuis deux décennies maintenant.

Dans ce bras de fer, la CEDEAO semble avoir pris fait et cause pour la France en pressant les militaires d’organiser ici et maintenant, sans promesse ni dérogation, des élections. En agissant ainsi la CEDEAO a suscité contre elle l’incompréhension et la colère d’une frange importante de l’opinion publique régionale et africaine qui lui reproche de ne pas tenir compte, non seulement de la volonté des Maliens et de leurs intérêts, mais aussi de la promesse que le prochain président élu soit à son tour confronté aux mêmes difficultés et au même sort que ses prédécesseurs.

En effet, le fait que tous les coups d’Etats au Mali sont consécutifs au soulèvement de la seule et même garnison du camp militaire Soundjata Keita de Kati ne devrait pourtant pas échapper à tous les protagonistes internes et externes de la question malienne et les informer par la même occasion de ce qu’est l’armée malienne en réalité mais également de la solidité des institutions du pays qui s’écroulent au moindre vent violent.

N’y a-t-il pas nécessité de se donner le temps pour changer quelque chose afin que tout ne continue pas comme avant? La question est pertinente mais la réponse par évidente car tributaire du point de vue depuis lequel l’on observe la situation.

Ces problèmes structurels et non conjoncturels et qui ont même une dimension existentielle pour le pays, figurent, avec l’équation du nord, en haut du panier de ceux qui ont été identifiés par la concertation avec notamment les acteurs de la société civile, chauffés à blanc par une cohorte d’activistes de tous poils et qui se sont érigés en sentinelles de la défense des intérêts du Mali et avec lesquels il faut compter désormais dans tous les cas de figures.

Face à l’immensité et la complexité de la tâche, les militaires estiment avoir besoin de plus de temps que deux ou trois semaines pour la tenue des élections. Il s’agit ici de la vie d’une nation et non d’une personne ou d’un groupement d’intérêts. Il est donc logique de se donner le temps nécessaire pour impulser un nouveau commencement qui ne soit simplement un recommencement comme nous en avons été témoins dans de nombreux pays africains.

En tant que pays réputé indépendant, le Mali a le droit de définir ses priorités, son propre agenda et de faire ses propres choix tout comme les occidentaux le répètent à tue-tête à la Russie concernant la liberté de l’Ukraine de conclure les alliances qu’elle souhaite.

Dès lors, la question qui arrive involontairement à l’esprit est de savoir si dans une telle situation, les sanctions réputées sans précédent de la CEDEAO et de l’UEMOA arriveront à fonder l’Histoire dans ce pays (troisième économie de la zone UEMOA et dans lequel les citoyens possèdent plus d’avoirs que l’Etat lui-même), et dans l’intérêt de qui?

Moritié CAMARA, Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales